Promesse tenue... [ La diabolique ]

**Andrew Crane** Dim 12 Juil - 12:29

La rédaction de cette lettre fut un exercice douloureux, entreprise téméraire car l’inspecteur outrepassait les nouvelles règles de conduite dictées par Monsieur Fisher, son supérieur. Si les scrupules l’envahirent, son désir d’obtenir une correspondance régulière avec cette femme auréolée de grâce fut le plus fort. Cette lettre fut portée tout juste avant l’arrivée de sa sœur dans la demeure de la veuve Delight. Quelle avait été sa motivation première ? Le désir de la revoir ? L’envie de pouvoir enquêter en solitaire et de prendre son envol et ses distances vis-à-vis du chef de Scotland Yard ou tout simplement le souhait de la savoir innocente ? Sa main se hâta dans sa trahison, le papier s’entachant de cette opacité oppressante, son écriture demeura gracieuse et délicate. Les lettres bien formées se plaisaient dans les jeux d’équilibre et semblaient testées l’affreuse gravité en demeurant penchées.

«Madame Delight,

Je vous écris pour prendre de vos nouvelles et m’excuser de mon impolitesse. Je n’aurai pas du tant vous solliciter et je ne voulais vous causer plus de tracas et de chagrin à l’évocation de la mort de votre époux. Je vous remercie encore de m’avoir reçu avec tant d’amabilité et suis votre obligé.
Je reste bien sûr à votre disposition. J’aimerai.. vous revoir.

Mes sincères salutations,

Andrew Crane »

C’était l’une de ces lettres à titre personnel, devait-il le préciser ? Devait-il lui mettre noir sur blanc qu’elle ne devrait souffler mot de ce billet ? Pis, après tout, Messire Crane n’avait fait que lui écrire rien de plus. Mais à peine eut-il confié cette missive qu’il se demanda si elle lui répondrait et si elle ne lui en voudrait pas d’avoir pris les devants dans la promesse qu’elle lui avait faite.

**Sucrerie** Lun 13 Juil - 10:38

La réponse parvint vite, non d'un messager quelconque, mais d'une de ces Sucreries attentives, douces et souriantes, un jeune garçon au teint frais et au sourire sûr de celui qui n'a pas à douter du lendemain, ni de lui-même, ni de ses possessions. La lettre qu'il tendait était cachetée, du sceau Delight, sur un vélin impeccable. Ravissante et surannée manie. Sur le papier, son écriture fine, déliée, penchée vers la droite, vers les bons présages. Des majuscules toutes en courbes, des minuscules un peu pointues, espiègles mais nobles et régulières. Et, au delà de l'écrit, son parfum, fugace souvenir envoûtant.

Sir Crane,

Les quelques petits temps passés depuis votre venue ont su endolorir ma peine, ne vous faites donc pas tant de soucis pour mon tourment; si la cause persiste, l'espoir de le revoir dans des cieux cléments et la présence de mes enfants sont un baume qui apaise la blessure. Vous n'avez pas à vous faire pardonner de n'avoir que mis en lumière un fait cruel qui n'est nullement de votre ressort, mais celui de la fatalité.
A mon tour toutefois de m'excuser, de n'avoir pris la plume dans l'heure pour vous rassurer, happée que j'étais dans les festivités qu'on me réclame et qui me plaisent à faire jouer. Vos quelques mots furent un ravissement à lire, n'en doutez pas, et j'ose espérer vous rendre pareille distraction dans votre labeur si triste et si nécessaire que de veiller sur les âmes de vos concitoyens et de rendre justice parmi eux.

Si d'aventure vous désiriez vous distraire, une fête sera bientôt donnée au Manoir et il me plairait de vous y voir vous détendre un peu. Si vous êtes, hélas, trop occupé, je trouverai bien un moment et du courage pour que nous puissions parler, de mon époux ou de la pluie et du beau temps. Je tenterai de sacrifier à votre sérieux d'harrassants bavardages, si typiques aux femmes, je vous le concède. En échange, promettez-moi d'être détendu et de laisser un peu de votre fardeau sur mes épaules ou sur le manteau que vous délaisserez à la porte, juste un temps.
Je n'ai nul soucis à confier à l'homme de loi, aussi j'espère trouver l'homme de lettre.

Bien à vous,
Ambrosa Delight.

**Andrew Crane** Sam 18 Juil - 16:35

Le billet fut accueilli sous les meilleurs hospices. La promptitude de la réponse, le soin apporté à la calligraphie, le choix des propos finirent d’achever les doutes du pauvre inspecteur qui se mit aussitôt à l’ouvrage, gardant sous son œil l’œuvre de l’infortunée veuve.
Touche sublime de douceur, le rigoureux subissait l’assaut des embruns de son parfum, cette odeur particulière qui lui remémorait la volupté déconcertante de l’infâme. Ces lettres furent-elles plus fines, ses écrits plus légers sous l’effet de ce philtre ? Le même procédé fut renouvelé, une simple enveloppe parvenue au manoir de l’arachnéenne avec ces mots : « Pour Ambrosa Delight ». Folle audace d’user de son prénom vous en conviendrait. L’échange épistolaire se poursuivait.

« Lady Delight,

Votre lettre m’a fait grand plaisir, je l’ai reçu il y a peu. Sachez que vous n’avez nul besoin de vous justifier, je m’excuse de m’être montré si « cavalier » dans mes questions et espère que vous n’avez pas pris ma dernière missive pour un assaut désespéré. Je l’ai écrite à titre personnel.

Nous avons en effet beaucoup de travail à Scotland Yard en ce moment. L’utilisation de méthodes scientifiques et rigoureuses dans nos affaires est encore bien sommaire et une application trop légère ou trop zélée de ces procédés peut être désastreuse. Je me heurte à bien des murailles dans mon combat pour la raison et la vérité, mais passons, je ne vous ennuierai pas avec ces détails.

Je serai aise de vous revoir, je ne sais si je pourrai me soustraire à mes occupations pour vos festivités, je ferai mon possible. En revanche, puis-je vous convier à une promenade ou vous inviter à dîner ? Si oui, je vous promets de me prêter à des conversations plus variées et de chercher à vous être agréable par tous les moyens.

Bien à vous,

Andrew Crane. »

Cette correspondance lui rappellerait-elle celle de son époux passé, le défunt Arthur Delight ?

**Sucrerie** Mer 22 Juil - 6:39

Cette fois encore, la missive parvint de la même voie que la première, porteuse de la même fragrance trop éphémère, qui s'envolait quelques heures après l'avoir ouverte. Toutefois, l'écrit semblait légèrement plus lourd, et de l'enveloppe furent tirées une lettre, et une petite carte.

Sir Crane,

Si c'était là assaut désespéré, je ne plains que trop la cité que vous prendriez en siège, qui serait contrainte de céder devant vos si aimables manières. Je comprends que votre profession vous contraigne à être parfois direct, et à douter de tout; n'ayez crainte encore une fois, je ne vous en tiens nulle rigueur.
Vous parlez de méthodes scientifiques, voilà qui pique mon intérêt, aussi, puis-je oser vous en demander davantage de précisions? Cela ne m'ennuie pas du tout, au contraire, les nouveautés de notre siècles sont aussi exaltantes qu'inquiétantes, tant elles ne semblent cesser, aussi je suis apaisée de les savoir entre de bonnes mains, et me permet d'en être curieuse. J'ai admiré il y a quelques années les travaux d'un mécanicien que j'oserai nommer grand artiste, dans son établi, et voir ces amas de fer prendre presque vie m'a marquée et rendue admirative. L'âge est à la vapeur, que beaucoup réduisent à tant de suie, sans en voir la clémente blancheur!
Une promenade? J'en serai ravie, et, pour ne rien vous cacher, j'ai gardé la coutume de ces chauds pays de ne le faire qu'une fois le soleil caché, aussi, telle ballade vous plairait-elle? Si l'incongruité de la chose ne vous plait guère, un dîner me ravirait, au théâtre, si vous aimez, ou simplement pour nous retrouver. Ainsi, pouvoir deviser de sujets plus futiles, certes, mais surtout moins pénibles. Je m'en veux terriblement de vous avoir imposé ma faiblesse.
En espérant que la charge qui vous est dévolue vous laisse quelques temps d'agrément,

Pensées,
Ambrosa Delight.

PS: Pardonnez mon enthousiasme, mais je me suis permise de prendre quelques devants.

Et, sur la carte faite d'un vélin plus fort.

Invitation à la Royal Opera House,
Pour la représentation d'Othello,
Le 1er août, débutant à 8.30

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