It's about time [Morgane - Shany]

**Neige** Lun 8 Juin - 15:07

S'il y avait bien une chose qui pouvait fasciner le Serpent à Londres, hormis le train, c'était ceci. Ceci, cette grande tour surplombant l'eau, faite de rouages comme elle pourrait à son idée être faite de chair, donnant l'heure comme un donne une impression. Gratuitement, sans limite. C'était bien là une énigme à laquelle il comptait trouver réponse un jour, au propos de tout ce qu'on pouvait trouver à donner en certaines choses, en certains êtres, dans lesquels il semblait possible de puiser sans jamais trouver de fond, alors que d'autres choses, elles, trouvaient une fin. Mère lui avait dit qu'un être pouvait saigner à jamais sans se vider pour autant si on trouvait blessure assez délicate. Il brûlait d'envie de trouver un jour une personne à inciser de telle manière. Peut être sa Soeur, Morgane, qu'il avait décidé de suivre, comme il le décidait parfois. C'était rarement contesté, majoré par le fait qu'on lui adressait peu la parole, même parmi les siens. Elle se promenait en ville, dans un lieu dont il avait déjà décrit l'architecture -Ainsi que les lieux d'approche, d'attaque et de repli- et distribuait derrière elle une impression, toujours gratuite et sans fond, d'insouciance. La pensée qu'un homme pourrait vouloir l'importuner lui vint, alors qu'il scrutait les regards et attitudes des personnes à qui Morgane avait offert de son essence, de sa présence.

Il pencha la tête de côté, lorsqu'il vit un homme dont le corps disait qu'il allait la prendre, sitôt qu'elle passerait à portée dans une ruelle plus étroite, avant qu'il ne croise le regard du Serpent et ne se détourne pour ne plus revenir à portée d'oeil. Le geste vers le couteau. Les hommes comme ce type voyaient toujours la main et le couteau, et comprenaient tout de suite. D'une ville à une ville, la langue, la religion et la couleur des gens changeait, sans que ne change le langage de la rue. A la demande de Mère, il avait fait, ce jour, un effort vestimentaire qui le faisait presque passer inaperçu. Pantalon sombre, chemise sobre. Chaussures, même. A présent, avait-elle dit, ils t'ont assez vu, mon petit, cache-toi, qu'on oublie ton visage sans oublier ton ambassade. Mère avait dit, alors Neige faisait. Quand bien même il avait toujours son long couteau à ses côtés, et ces trop blancs cheveux qui tranchaient avec son visage trop lisse. Il pouvait être ignoré, dès lorsqu'on n'y regardait pas à deux fois. Il observait, reptile parmi les hommes, depuis le couvert de tout ce que pouvait représenter sa Soeur. Mère serait ravie d'avoir un rapport détaillé sur ce que la foule, l'ensemble, le sang de Londres elle-même pensait des siens, sur la réaction viscérale. Il décortiquait, l'oeil avide, froid, peut être trop fixe et trop intense. Il se nourrissait de toute cette vie, quand il accrocha cet oeil.

Il était vide, il était absent, il y avait quelque chose de noble et d'abandonné qui y surnageait. Elle lui rappela sa mère, et dans l'instant, pour lui, il n'y eut plus personne d'autre sur la place que Morgane, Big Ben et Elle. Il la fixait, sans même s'apercevoir qu'il s'était approché d'elle, qu'il était discourtois au possible, ni même que son attitude avait toutes les chances d'effrayer une personne normale. Le Serpent était fasciné, et sonna le quart, faisant sursauter quelques personnes.
Il se dit que quelqu'un avait du distribuer une impression qui donnait la peur, sans se rendre compte le moins du monde que c'était lui.

**Shany Kiederman** Jeu 11 Juin - 9:19

Juste s'échapper quelques instants de sa triste besogne, de son sinistre sort qui se répéte inlassablement, jour après jour, sans autre variance que le clients et leur manière. Mais les journées sont calmes, souvent. Les habituels oubliaient l'existence de leur 'maitresse' occasionnelle le jour, se rappelant subitement son existence quand il se retrouvait trop serré dans leur vêtement. La nuit. Cela aussi était habituel. On finissait invariablement par tout trouver normal avec un peu d'habitude. Et Shany avait appris à ne plus s'étonner de rien. Ni des coups du destin, ni des clients et leur manière. Elle vivait, mais passivement. Elle attendait une délivrance qui s'enfuyait à tire d'ailes un peu plus chaque jour.

Et Shany n'avait de cesse de lui courir après, indifférente à la naïveté de cette démarche. Elle fuyait leur taudis misérable, quelque fois pendant des heures, provoquant l'angoisse de son frère, attendant que tombe du ciel un miracle qui la délivrerait à jamais de cette existence de pêché et de luxure dans lequel elle se complaisait parfois. Parfois aussi, elle priait. Dans les instants les plus noir, elle se tournait vers Celui qui l'avait abandonné. Qu'avait-elle fait pour mériter Son courroux ? Jamais ses prières et ses questions ne trouvaient de réponses. Là haut, l'on était sourd à ces interrogations, à ses pleurs et à sa souffrance. Une part d'elle continuait à y croire, mais simplement parce que cela permettait à sa conscience de ne pas basculer complètement dans la folie. Elle croyait, mais elle croyait à demi.

Ses pas l'avaient amené jusqu'au pied de la célèbre tour de Londres. L'une des célèbres tour. Comme un automatisme, Shany leva la tête, reprenant sa morne contemplation des alentours. Elle remarqua les murmures alentours sans pourtant s'y attacher. L'avait-on déjà découvert ? La pointer du doigt, l'insulter en lui hurlant de retourner dans ses quartiers pouilleux où elle ne polluait pas l'air de son infâmie ? Elle avait pourtant pris soin de se vêtir d'une robe en coton grossier, informe, d'une couleur qui la faisait se fondre dans la masse des badauds les moins aisés. Pouvait-on quand même distinguer en elle le femme de petite vertue ? Comme une marque au fer rouge sur son front.

La jeune fille se concentra un peu plus sur les murmures, comprenant finalement son erreur. Elle se tourna d'un quart de tour, sans que véritablement un intérêt quelconque l'oblige à le faire. Et pendant une fraction de seconde, elle ressentit ce qu'elle n'avait ressentit que deux fois auparavant. La première, c'était lorsqu'elle s'était retrouvée aux prises avec lord Laurel, la seconde lorsqu'elle s'était donnée pour la première fois. Un mélange de douleur et... de peur. Dans la balance de ses sentiments, la jeune fille de bonne famille s'offusquait d'être ainsi dévisagée par un inconnu dont elle ne connaissait pas même le nom. La politesse voulait qu'il y ait un minimum de civilités et même avec cela, un véritable gentleman ne l'aurait jamais regardé avec autant d'insistance. De l'autre côté du plateau, plus lourd, la fille perdue lui faisait valoir qu'elle n'était plus rien et qu'elle ne méritait pas plus de considération qu'un chien errant, voué à subir en silence tous les outrages.

Ses yeux accrochèrent un instant ceux délavés, de couleur presque disparue, de l'inconvenant, ses jambes comme paralysées refusaient de la porter pour l'emmener. L'agneau sous le charme du serpent. Quelle cruelle ironie.

- Excusez-moi...?

**Morgane** Jeu 11 Juin - 17:50

Il la suivait. Elle l'avait senti depuis qu'elle avait quitté le manoir. Il le faisait parfois, elle le savait. Cela ne la gênait pas, bien au contraire. Elle savait bien qu'il faisait peur ou mettait mal à l'aise beaucoup de monde, et même parmi les Sucreries. Mais pas elle. D'ailleurs, elle n'avait jamais peur. Il était étrange, c'était indéniable, et même elle ne parvenait pas à le comprendre. Mais elle aimait bien lorsqu'il la suivait. Elle se sentait en sécurité, protégée. Non pas qu'elle se fut sentie en danger lorsqu'il n'était pas là, ce genre d'idée lui était parfaitement étrangère. Simplement sa présence offrait quelque chose en plus. Comme si elle avait pu profiter du monde extérieur sans réellement quitter le cocon de la Maison. Elle aimait qu'on veille sur elle, tout simplement. Peut-être n'était-ce absolument pas son intention. Peut-être les motivations qu'il avait de la suivre étaient-elles tout autres. Elle en était tout à fait consciente, elle savait bien qu'elle le cernait trop peu pour présumer du pourquoi de ses actions. Mais elle s'en fichait. Elle le ressentait de cette façon, c'était tout ce qui lui importait.

Sans avoir eu à se retourner pour le regarder -elle ne le faisait jamais, ne sachant pas comme il y réagirait- elle avait constaté qu'il ne portait pas ses vêtements habituels. Cela lui tira un sourire. Mère avait dû lui faire une remarque à ce sujet. Il faisait toujours ce que Mère disait. Comme eux tous, d'ailleurs, mais pour lui c'était... Différent. Plus intense. C'était un peu comme si il n'avait plus eu d'autres désir que celui de répondre à ceux de Mère. Fairy avait un certain respect pour ça. Elle-même en aurait été parfaitement incapable.

Au hasard du dédale des rues, elle se retrouva finalement au pied de Big Ben. Elle s'arrêta un instant pour le contempler. L'édifice en lui-même, elle ne l'aimait pas. Une haute tour de pierres mortes, cela ne présentait à ses yeux que peu d'intérêt. Mais quant à ce qui se trouvait à l'intérieur, aaah, c'était bien différent. Le cliquetis du métal, les innombrables mécanismes qui faisaient sans fin tourner cette horloge... C'était presque la Vie, que l'Homme avait reproduit dans cette oeuvre, et cela la fascinait. Elle dut toutefois se tirer de sa contemplation en entendant les murmures sur la place gonfler progressivement, pour regarder autour d'elle ce qu'il pouvait bien se passer.

« Aya... »

Neige avait cessé de veiller sur sa Soeur et portait maintenant toute son attention sur une jeune fille qu'il fixait, sans doute d'un peu trop près, et qui semblait assez effrayée. Pourtant, Fairy doutait qu'il eut l'intention de lui faire du mal. Si elle se trompait, elle n'avait certes pas l'intention de l'en empêcher, sans doute avait-il ses raisons, cela ne la regardait pas. Mais si elle avait raison, mieux valait intervenir. Elle connaissait l'effet qu'il pouvait avoir sur les gens et savait surtout qu'il s'en rendait rarement compte. Si la demoiselle paniquait, cela pouvait tourner en esclandre. Et puis il était inutile de laisser cette pauvre jeune fille s'inquiéter si elle n'avait pas de raison de le faire. Aussi la Fée rejoignit-elle l'étrange couple. Elle fit un signe de tête accompagné d'un sourire rassurant à la jeune fille inconnu -qu'elle était jolie !- puis accrocha le bras de son Frère afin d'attirer son attention avant de lui lancer un regard interrogateur, doux mais où on pouvait lire une sorte d'avertissement.« Pardonne-moi semblait-elle dire, mais tu leur fais peur parfois, rappelle-toi. »

**Neige** Sam 13 Juin - 0:45

Neige n'était pas un imbécile. Au contraire, on pouvait le dire sans mensonge doté d'un esprit fin, tranchant -Aiguisé était un terme redoutablement exact en ce qui le concernait- mais s'il y avait bien quelque chose dont il était dépourvu, par un détour étrange, c'était d'intelligence sociale. Neige ne comprenait pas les gens. Non, Neige se contentait de les analyser, de les classer, de répertorier les signes qu'ils laissaient échapper. La jeune femme aux yeux de Brume, du moins, aussi flous qu'elle, disait avec son corps de ne plus approcher, de partir. Il décrivait sa tension, la tentative de masquer cette tension. De la défiance, du retrait. Son corps murmurait enfin "je veux fuir", mais n'osait pas faire le pas. Neige entendait ce corps. Mais il ne comprenait pas. il admettait, mais ne reliait pas. Trop détaché de lui-même pour s'inclure dans sa vision du monde.

Elle était double. Il commençait à le percevoir. Elle était double, et c'était pour ça que le corps ne savait à quelle voix obéir, depuis les entrailles. Les gens divisés sont des gens torturés, souvent, au milieu d'eux-même, là où il y avait le fossé qui les séparait, il y avait la couleur de cette Brume. Ce flou qui tentait de réunir, d'empêcher que la construction ne se disloque. Les êtres étaient des architectures autrement plus fascinantes que les horloges, même s'ils avaient à apprendre de la simplicité crue. Il se dit alors qu'il devrait sourire, répondre, montrer les signes d'accroche et d'approche classique. Il remarqua qu'il n'avait pas de fleurs, et serait sans aucun doute parti aussitôt en chercher une ou deux, dans quelque parc qu'il avait repéré un peu plus haut pour revenir les lui offrir sans un mot et au mépris de toute logique sociale, quand la Fée lui prit le bras. Il l'avait vu, le mouvement, mais elle était une Soeur et on n'arrête pas le mouvement d'une Soeur. Surtout pas un contact.

La main de Neige s'enroula autour de la sienne, brûlante, à l'opposé de son image. Il avait le don étrange de donner l'impression que ses membres étaient des reptiles, qu'ils glissaient, désarticulés, leurs anneaux autour de ce qui l'approchait, ou de la garde de son long couteau. Il vit son visage, enfin, et décrypta. Ha. Il pencha la tête de côté, de façon sèche et vive, comme pour montrer qu'il avait compris, cette fois. Ha, oui. Il faisait peur. Ca venait donc de lui. Réparer, maintenant, effacer: Tant pis pour les fleurs. Elles viendront ensuite.

Il s'efforça de sourire, ce qui n'avait rien d'humain sur son visage. Non, c'était un artifice, au point qu'il lui arrivait de le peindre, pour ne plus avoir à y penser, et c'était même parfois plus efficace. Il y avait quelque chose de... Viscéralement dérangeant à le voir sourire de telle façon. C'était faux. C'était un masque. Même bien attentionné, c'était un masque grotesque. Il chercha ses mots, et pencha la tête vers son autre épaule, ouvrant le bras libre, mais cette fois, avec une lenteur calculée qui en rajoutait à son allure ophidienne.

Oui. Je vous excuse,

fit-il, avec un naturel désarmant au possible

Et... Je vous prie de m'excuser à mon tour. Je vous fais peur. Mon couteau n'est pas contre vous, je ne serai pas un danger.

Un regard vers sa soeur. Il semblait vouloir vérifier si ses mots avaient été assez bien choisis. Il n'aurait pas voulu indisposer la Fée, égratigner son insouciance. Il aurait eu l'impression de la dénaturer, et c'était là chose affreuse. Sa voix, grave, profonde, était vibrante, un peu rauque. Marquée d'un indéfinissable accent.

Je suis Neige, je suis un Étranger. Elle est Morgane. Ma Soeur. Vous pouvez exiger de moi réparation si vous estimez que je vous ai offensée, Dame.

Mère lui avait enseigné cette phrase. Elle apaisait les tensions qu'il faisait naître, disait-elle. Elle lui avait même appris à la prononcer avec le bon ton, doux, un peu en retrait. C'en était presque touchant de sa part, pour qui le connaissait un peu, qu'il consente à tant d'effort pour ne plus être seulement que l'Ombre de la Veuve. Le sourire en paraissait même légèrement moins factice, plus fondu dans la chair.

**Shany Kiederman** Ven 19 Juin - 11:34

Sa main sur sa poitrine, Shany put percevoir que les battements de son cœur s’étaient peu à peu calmés. Le choc de cette rencontre avait augmenté de manière anormale son rythme cardiaque mais ce mauvais moment passé, la jeune fille retrouvait sa réserve habituelle, de même qu’une maîtrise -certes imparfaite, comme toujours- de ces sentiments.

Pourtant, une peur diffuse, pas ou peu contenue par le sourire rassurant de la jeune fille qui les avait rejoint, la reprit dès les premiers mots de l’inconnu. Ca avait même commencé avant, quand il avait décidé d’appliquer les conventions sociales qui préconisaient de sourire à tout va dès qu’une conversation s’engageait. Mais quand on vivait dans la fange et qu’on était considéré par tous comme telle, on se fichait bien des conventions et de leur respect. Shany n’était plus avenante même si elle ne pouvait souffrir la présence de quelqu’un, elle n’était plus gentille même si elle aurait voulu exploser de colère et elle ne souriait plus parce qu’on avait la bassesse de lui adresser un mot. Les hommes qu’elle côtoyait n’avaient pas besoin qu’elle parle et discute. Ce qu’ils attendaient et désiraient, Shany le savait dès qu’ils posaient un pied dans ce qui lui servait de ‘chambre’ et cela n’attendait pas de palabres mais une exécution prompte et silencieuse.

Tout cela pour en arriver au fait qu’elle aurait presque voulu qu’il s’abstienne de sourire et de respecter ses codes de la bonne société. Shany n’arrivait pas à décrire précisément ce que cela lui faisait au tréfonds mais elle frissonnait plus que nécessaire en pareille situation. Frissons qui se transformèrent en sueurs froides le long de son dos à la simple mention d’un couteau. Couteau ? Londres était une ville dangereuse, comme toutes les grandes capitales d’Europe, et même dans en pleine campagne, on pouvait risquer sa vie face à des malandrins. Mais c’était surtout cette façon toute naturelle qu’il avait de bien préciser qu’il ne tirerait pas sa lame contre elle qui la désarmait -et de toute façon, son esprit enfiévré ne voyait pas les choses comme cela.

Elle ne répondit pas immédiatement, saluant celle qu’il présentait comme sa sœur Morgane d’un hochement de tête avec un temps de retard, accaparée à ne pas quitter du coin de l’œil l’homme. Neige. Drôle de prénom, ou peut-être surnom ? Car elle remarqua enfin qu’il était aussi blanc que la neige en hiver. Peau, cheveux, même enfin cette absence de couleur dans ses iris. Elle suivit le regard de Neige, pour observer elle aussi Morgane, ce qu’elle n’avait pas fait auparavant.

La première impression qui lui venait était qu’elle était toute menue, lui rappelant certaines images de son enfance insouciante. Ces petits êtres de légendes dont elle aimait regarder les croquis dans des livres. Fées ou nymphes, la même grâce, le même regard doux... Shany se secoua mentalement, pour se concentrer sur ce qu'il se disait.

- Shany, se présenta-t-elle finalement en retour mais dans ses yeux commença à brûler une flamme qui n’avait rien de sympathique ni même de retenu. Et je vous en prie, ne vous donnez pas cette peine. Les gens de ma condition ne méritent aucune réparation pour offense, finit-elle, plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

Sans le savoir, il venait de remettre sur le devant sa condition de paria. Elle se rappelait maintenant, elle ne méritait aucune considération, c’était ancré en elle, pourquoi alors remuer le couteau dans la plaie ?

**Neige** Jeu 2 Juil - 3:58

Sans aucune pudeur, ses yeux la décrivaient. Il voyait, constatait, éprouvait, et se satisfaisait de voir son hypothèse vérifiée dans les dires de la Dame. Elle voulait encore le repousser, alors il se redressa légèrement, et fit l'ombre d'un pas en arrière, comme pour lui signifier qu'elle n'aurait qu'un mot à dire, et il disparaîtrait de ses yeux. De ses yeux à elle, bien que lui, continuerait de la veiller. Car, de plus en plus, à son corps et à ses regards, il sentait la Mère en elle. Les Mères étaient nombreuses et universelles, et les hommes souvent les réclamaient. Il avait déjà vu cette façon d'être, cette timidité farouche, cet orgueil qui ne se trouve pas, chez les Mères. Oui, elle en était une, alors il s'inclina.

Je ne suis pas Dieu ou Maître pour être prié, dites et je ferai.

Désarmant, oui. Troublant. Bien qu'il ne cherchait en aucun cas à l'être, non. Il se voulait humble et rassurant. Il se voulait celui qui remettrait cette femme sur le piédestal qu'il lui fallait avoir. Car les Mères sont les Reines de la nuit, loin des dames qui les méprisaient pour éclairer les ténèbres et enfanter de leurs maris.

Votre condition, au contraire, exige de moi la déférence. Je vous repousse, je le vois, dites-moi ce que je puis faire. Mon couteau est pour vous.

Il s'abaissa presque, comme s'il allait mettre genou en terre, sans le faire tout à fait. Non, Mère lui avait dit que regarder les gens de toute sa taille était parfois intimidant, alors, comme il voulait être cotonneux, cocon, il réduisait sa hauteur. Avec la souplesse d'un Serpent. Sans relâcher la Soeur qui veillait sur eux.

Neige la regardait avec l'adoration qu'on les enfants pour le ventre d'où ils viennent. Et c'était là si naturel, si vrai, que ça perçait en ses yeux étranges, qui ça se diffusait autour de lui. Il était là devant une sainte icône profanée par des malandrins qui ne savaient la valeur de la communion qu'elle leur offrait. Il voulait panser ses plaies, comme il l'aurait fait de toutes. non pas parce qu'il l'aimait. non. Il ne ressentait rien pour elle. Mais parce que c'était son rôle de fils, et comme il était le fils d'une, il était le fils de toutes. Servant pour servir, avec la force qui le constituait. Celui de voir le monde comme une succession de lois et de logique.

Big Ben n'aurait pas eu de meilleurs rouages.

**Shany Kiederman** Jeu 2 Juil - 12:24

Cela allait de pis en pis. Elle venait d’avouer à demi-mot qu’elle n’était pas digne de politesse pour qu’on lui ait tellement de fois répétée, et voila que cet inconnu s’inclinait face à elle. Il avait une étonnante façon de prendre la moindre de ses paroles. Quand ce n’était que formule courante, il lui répondait de ces paroles qui la mettaient dans la confusion la plus totale. Son mal-être avait été peu à peu remplacé par de la... curiosité ?

Elle était depuis des semaines, des mois, des années elle avait l'impression, habituée à la seule douleur, l'incompréhension, le désespoir, la peur. Quand on ne ressentait rien d'autre que cela, il n'était pas simple de laisser la place à un sentiment aussi singulier que la curiosité. Elle n'en avait plus l'habitude et c'était comme réapprendre à marcher après des jours d'invalidité. C'était doux et chaud au coeur parce que ça ne le tiraillait pas de la même façon que la souffrance.

Mais elle craignait aussi de mal comprendre ce qu'il lui proposait. Sa façon de pensée et de voir les choses lui étaient étrangers et même si Shany avait le pouvoir de savoir ce qu'il se tramait dans sa tête, comment il en était venu ainsi à se sentir le gardien de sa personne, il n'était pas dit qu'elle y comprenne plus que maintenant.

Alors Shany hésitait, engloutie dans un océan de perplexité face à ce qu'elle croyait voir dans ses yeux. Dans sa posture, rien ne trahissait maintenant l'envie de s'enfuir ou une quelconque trace de cet instinct de survie qui lui aurait dicté, quelques minutes avant, de s'enfuir à toute jambe. Non, ce qu'elle voyait était trop nouveau, trop... beau peut-être, pour qu'elle le veuille. C'était dangereux pourtant, plus que de se retrouver seule, la nuit, face à un homme qui n'avait envie que de vous dépouiller de vos effets et de vous avilir, comme tant d'autre. Dangereux parce que c'était une réminiscence du passé. Certes pas à ce point là mais dans son esprit confus, elle se souvenait encore très bien de la manière dont les hommes pouvaient bien la voir quand elle avait plus à leur offrir qu'aujourd'hui.

Il pensait lui devoir la déférence ? La percevait-il donc bien comme ce qu'elle était ? Ca ne pouvait être réel, trop contraire à la logique qui voulait -ou aurait voulu ?- qu'on fuit sa compagnie en dehors des draps. Shany savait aussi qu'elle devait faire attention à la manière dont elle allait parler, choisir soigneusement ses mots pour ne pas l'induire en erreur. Qui savait comment il interpréterait sa peur de comprendre vraiment ce qu'il lui proposait ?

- Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous faire croire que vous me paraissez repoussant. Je suis simplement... surprise.

Et ce devait être encore loin de la vérité, mais assez approximatif pour retranscrire, à son sens, ce qu'elle ressentait sans danger. Et indécise, bien que le regard droit en direction de Neige, triturant la manche de sa robe, elle reprit :

- Mais je crains de ne pas comprendre ce que vous me... proposez.

Cela lui semblait tellement... improbable d'avoir là, devant elle, quelqu'un possiblement capable de laver son honneur -dans le sang s'il le fallait- qu'elle ne réalisait pas. Mais accepterait-elle d'être la commanditaire d'un meurtre, même de celui de lord Laurel ? Accepterait-elle de se salir les mains, même si c'était pour une vengeance longtemps ruminée ? Levy, lui, n'hésiterait pas pourtant.

- Pourquoi voudriez-vous m'aider ? demanda-t-elle finalement, dans un souffle, désireuse de savoir plus que tout.

**Neige** Jeu 2 Juil - 14:09

Neige ne songeait pas au meurtre. Certes, il y songeait souvent, car c'était là un art noble à ses yeux -Son Art, bien plus que sa façon de peindre et de manier le graphite à ses heures contemplatives- mais il ne pensait pas là à manier sa lame, à l'entrainer dans cette danse rouge qui lui rendait, enfin, de fugaces couleurs appartenant à la vie d'autres. Pas face à une Mère perdue. Toutes ses pensées étaient tournées vers la façon qu'il pouvait avoir de lui rendre sa place, son éclat, son allure et sa morgue, comme une oeuvre qu'on aurait roulée dans la fange et qu'il y aurait découverte. Il avait une pulsion plus poussée que toutes autres envers ces trésors-là, abandonnés des foules méprisantes. Elle se détendait, son corps ne voulait plus s'enfuir, aussi il était satisfait. Il avait au moins pu la convaincre qu'il ne la couperait pas. A présent, elle était étonnée, et il était presque affecté de croire que cette Mère-là n'avait pas trouvé un Fils pour la couver et la laver lorsque le besoin et les reliquats des hommes se faisaient pesants. Elle parlait, questionnait, il écouta tant que la chair de Shany montrait qu'elle voulait encore parler. Ce n'est que lorsqu'elle cessa, qu'il sortit de son immobilité inquiétante, comme une fleur qui s'ouvrirait comme de rien après un dégel.

Il se redressa alors, puisqu'elle ne craignait plus. Il la couvrait de son ombre, pour répondre par moitié à ses interrogations. Car il le savait, les Mères savaient lire les écrits du corps, et il avait appris auprès d'elles à le faire à son tour. Il y était bien plus à l'aise qu'avec les mots qu'il trouvait hasardeux et trop sujets à interprétation. Il aurait apprécié trouver une langue qui n'aie pas de double sens, pour laquelle un mot est un geste et un sens, sans détours. Même si la chair pouvait mentir, et s'il avait appris à la sienne à rester souvent muette. Sa voix, chaude, basse, à laquelle il s'efforça avec sa sincérité gauche de donner un ton humble, s'éleva à peine.

Je veux vous aider pour ce que vous êtes.

Il cilla. Mère lui avait dit que toutes n'étaient pas fières de ceci, et que toutes n'aimaient pas le nom de la chose -Encore l'une de ces distorsions de langage. Aussi, il ajouta, avec une teinte qui se voulait chaleureuse, qui n'était pas particulièrement réussie, loin s'en faut.

Vous êtes une Mère. Je suis né de l'une de vos Soeurs, dans la rue. Alors, puisque je suis Fils, je vous le dois.

Elle avait demandé ce qu'il proposait, et il repensa aux fleurs, à l'hésitation, aux plaies de son égo qu'elle portait à même la peau. Il hocha la tête, et ajouta d'un ton simplement neutre, oublieux de la situation, car se croyant déjà intime, tout naturellement.

Si vous souhaitiez des fleurs, que je vous escorte, que je corrige un être qui vous a fait affront. Je le puis. Je voulais déjà, pour le bouquet. Vous devriez aimer les violettes.

A son sens, oui, elle devrait aimer les violettes. C'était une teinte et une forme qui allait avec la délicatesse sensible qu'il voyait en elle. C'aurait été touchant et romantique qu'il le lui confie, sans doute. Mais pour lui, c'était là chose allant de soi, alors ça n'était pas chose à prononcer.

**Shany Kiederman** Dim 13 Sep - 22:37

Si elle en aurait été capable pour autre chose que regretter le passé, Shany aurait pleuré. Mais ne sachant pas comment pourrait être compris ces larmes, elle refoula ses sanglots au fond de sa gorge. Elle était troublée, déstabilisée, et elle s'en voulait d'être dans un tel conflit avec elle-même. Elle n'en voulait pas à ce protecteur tombé du ciel -bien qu'elle ressentait puissamment le fait qu'il ne se considérerait pas comme tel si elle en parlait- qui lui redonnait un quelconque espoir. L'espoir en la vie, l'espoir que cette dite vie n'était pas maudite et liguée contre elle pour la punir du pêché dans lequel elle vivait. Il y avait toujours des gens, hormis son frère, qui ne la considéraient pas seulement comme une catin, mais bien comme une femme à part entière.

Une Mère, avec une majuscule. Neige n'y avait peut-être pas pensé -Shany ne le connaissait pas réellement pour le savoir- mais la jeune fille avait totalement abandonné l'idée d'être de celle qui enfanter. Quand l'on était jeune, et bien qu'innocente de ces choses, on pouvait rêver du jour où l'on aurait sa chair et son sang à cajoler, à bercer le soir, à consoler quand il s'écorcherait le genou, à voir grandir, mûrir, apprendre, aimer. Quelle existence pourrait-elle offrir à un petit enfant ? Une existence dans la rue, quand il lui serait impossible de rester sous la protection d'une mère trop occupée à assurer leur subsistance en se vendant aux hommes ? Une existence de rapine quand il n'y aurait pas assez d'argent pour s'offrir un repas digne de ce nom ? Elle n'avait ni nom, ni situation digne de ce nom à transmettre. L'amour ne comblait pas tous les manques.

C'était une drôle de façon de voir les choses qu'avaient Neige. C'était la première fois que Shany rencontrait quelqu'un d'aussi difficile à cerner et à comprendre. Quand on laissait de côté son apparence peu commune, ces sueurs froides qu'il faisait couler dans les dos avec ce visage inexpressif qu'il avait même en faisant des efforts, on pouvait apercevoir la bonté et la gentillesse derrière. C'était ce que la jeune fille commençait à percevoir. Elle fit un pas en avant, presque sans s'en apercevoir, s'approcha pour traduire d'une manière plus réelle la confiance qui s'instaurait. Il y avait encore de la réserve dans sa posture, mais pas de la crainte. On n'oubliait pas en quelques paroles polies toutes les brimades et l'avilissement que l'on vivait depuis des semaines.

- J'aime beaucoup les fleurs. Je n'ai pas souvent l'occasion d'en contemplaient depuis...

Elle hésita, se mordit la lèvre inférieure et reprit sans tenir compte de son interruption :

- Et toi, les aimes-tu ?

Pour faire confiance, il fallait connaître. Elle n'allait pas lâcher l'histoire de sa vie ici, en public, à quelqu'un qui restait malgré tout toujours un inconnu. Il lui fallait apprendre, analyser, comprendre, avant de faire quoi que ce soit d'autre. Shany avait adopté instinctivement le tutoiement, comme si c'était naturel. Il se considérait comme Fils et elle comme Mère, se vouvoyait-on entre Mère et Fils ? Shany ne l'avait fait, pendant les heureuses années où elle avait encore une mère et un père, alors elle considérait comme naturel d'appliquer ce qu'elle croyait normal. Même quand la situation ne l'était pas.

**Neige** Mar 15 Sep - 7:14

La bonté et la gentillesse. En Neige, ces mots étaient là tous relatifs, puisqu'il aurait dû sans doute connaître de prime abord les quelques notions qui lui avaient toujours échappées, comme le Bien tel qu'il était considéré de l'Humanité, le Mal et ces représentations, la bonté d'âme enfin. En lui, il n'y avait que le devoir, Mère, les Mères, et ce qu'on lui avait enseigné autour d'elles. A ses yeux, Shany était une sorte de sainte bafouée, il n'était né que pour réparer ce rouage brisé du monde. Ce n'était pas même un idéal de justice. Ce n'était qu'une autre de ces évidences qui formait ce dont il était fait, lui. Mais ces choses là n'étaient guère apparentes, il n'était que rarement compris, ou alors seulement par ses semblables. Il aurait sans doute pu faire partie d'une meute, si d'autres des fils n'avaient pas tant adopté le point de vue du monde, abandonnant leurs Mères.

Elle s'était approchée, c'était là un signe qu'elle commençait à le reconnaitre comme ce qu'il était -Du moins, à ses yeux. Alors, il fit l'effort de sourire, un sourire bien plus doux, bien moins forcé. Il se retint de justesse de s'agenouiller au devant d'elle, puisque c'était là partie des choses que Mère lui avait dit choquantes pour les étrangers, aussi ne fit-il que proposer son bras, à la façon d'un galant homme.

Venez, Mère Shany. J'ai vu un marchand plus haut, il en aura sans doute qui vous plairont parmi celles qu'il propose.

Son bras libre, détaché des contours de son couteau, offrit de fendre la foule pour elle. Et, alors qu'il s'était redressé, il n'y avait aucun doute quant à sa capacité de pouvoir trancher même dans les amoncellements de gens, tant il était grand, et tant il pouvait, malgré lui ou pas, faire effectivement peur. Pourtant, il lui était tout naturellement dévoué. Certaines l'auraient pris pour une chance, d'autres pour une malédiction. Lui n'en faisait aucun cas. Il considéra sa question, alors qu'il esquissait l'avancée. Prit son temps pour bien répondre, le plus sincèrement qu'il soit, mais aussi de façon compréhensible. Il se savait hélas obscur, lorsqu'il voulait parler des goûts et de sa façon de préférer.

J'aime les fleurs lorsqu'elles sont vives seulement lorsqu'elles sont en terre, ou à des cheveux comme les vôtres. A votre main, si vous préférez. Sinon, je les préfère fanées et sèches, elles sont plus aisées à comprendre.

Il avait essayé, et le résultat n'était pas particulièrement probant. Il en avait omis de maintenir son sourire, offrant de nouveau à tous ce visage sobre et atone, de statue étrangement mouvante. Il la vouvoyait encore. Il la vouvoierait toujours, à moins qu'elle ne le lui demande expressément, et encore, avec un certain malaise diffus. Il était pourtant, quelque part, et avec toute la mesure à considérer pour un être tel que lui, heureux.Le terme exact aurait été satisfait, bien que ce ne soit pas tout à fait entier. S'il pouvait réussir à lui rendre son sourire un temps, ça n'aura pas été une journée vaine.

**Shany Kiederman** Mar 29 Sep - 21:38

Shany observa le bras qu'il lui proposait, hésita quelques secondes et bien qu'encore un peu tremblante, posa sa main menue sur le bras de cet inconnu. Elle resta un instant à regarder sa blanche main sur le bras, comme si elle ne croyait pas à ce qu'elle faisait, à ce qu'elle voyait. Hormis son frère, quel homme la touchait-il sans que cela ne soit pour ce qu'ils étaient venus chercher chez elle ? Elle avait du mal à croire qu'il pouvait y avoir des changements dans ce domaine. Ses doigts se crispèrent un courts instant, avant qu'ils ne passent sous le bras et reparaissent juste ensuite. Enlacés. L'image ne tira rien d'autre qu'un soupir imperceptible à Shany, qui releva la tête, les joues rosées par la proposition. C'était tellement...

Mais la jeune fille se secoua mentalement. Allait-elle encore comparer avant et maintenant ? Il lui fallait profiter, sans se poser de question, sans regarder en arrière. Ce qu'elle vivait présentement ne durerait pas cent ans et à quoi pourrait-elle rêver, quand elle serait sortie de ce songe ci, quand elle devrait retourner à la réalité ? L'instant était trop parfait, elle se sentait trop revivre, pour le gâcher par de quelconques peurs venues de son inconscient. Un rêve, quoi d'autre cela pouvait-il être ?

Elle observa alentour, stupéfaite soudain de voir que ceux qui l'entouraient n'étaient pas des corps sans visages. Shany leva un peu plus la tête, croisa le regard de Neige, le sourire qu'il esquissait et ses lèvres frémirent. Elle suivit ses pas, le regard en avant, mais le profil légèrement de côté, vers lui. Ça n'avait peut-être l'air de rien, mais si Levy l'avait vu en ce moment même, il aurait pu en déduire beaucoup de choses sur ce qu'elle ressentait, son frère adoré.

Shany sentit encore ce qui devait être une chaleur sur ses joues, au compliment. Elle en avait pourtant entendu de ces mots doux, susurraient à l'oreille pendant que le corps au dessus du sien faisait sa besogne. Mais ils n'avaient aucune valeur, ils étaient des automatismes sans consistance, du vent qui butait contre un mur et s'essoufflait avant d'être arrivé à destination. Elle n'avait jamais eu aucune raison de se sentir gênée, elle évitait simplement de penser. Et de ressentir. Mais cette fois... Sa main serra un peu plus fort son appui.

- La nature est toujours plus belle dans son milieu naturel. Belle et immaculée.

La pression s'allégea, redevint un simple poids, sans vie. Shany aimait les belles choses. Mais non pas les belles toilettes, les bijoux hors de prix, les bibelots en porcelaine, les tableaux de maître. Mais ces petites choses qui n'avaient pas besoin des Hommes pour vivre. Les petits animaux dans les arbres, la flore qui fleurissait le printemps venu, la pluie qui tombait d'un ciel orageux et qui faisait remonter les odeurs de la terre.

- Et que vous font-elles comprendre ?

**Neige** Jeu 8 Oct - 13:37

Il l'écoutait. Il n'était là que pour elle et le moindre de ses mots comme la plus petite de ses inflexions de voix étaient sa principale préoccupation. C'était sensible, presque palpable, à voir ce soin appliqué qu'il avait de la regarder toujours, mais sans une seule once de désir. Non. Rien dans son attitude ne pouvait trahir une attraction charnelle, une attention envers sa petite Mère Shany qui aurait été déplacée. En ça, il était l'image même de la courtoisie détachée, simplement présent pour elle parce qu'elle était elle, et pour rien d'autre qu'il ne pourrait obtenir que son bien être.

La roseur à ses joues, aussi curieusement que ça pouvait paraître, et aussi naturellement qu'il pouvait parfois le faire, l'adoucit. Il la trouvait belle, ainsi, mais d'une beauté de tableau à ses yeux, pas d'un charme de chair. Ses gestes se firent sensiblement plus coulés, plus ophidiens sans doute, mais s'ils étaient plus animaux ils étaient moins froids, moins mécaniques. Pas vraiment qu'il s'éveillait à une vie plus prononcée. Mais il retrouvait ses marques parfaites, ce pourquoi il avait été fait. L'outil, le poignard des petites dames qui étaient souvent bien mal protégées.

Ils avançaient, côte à côte, et nul ne chercha à les arrêter, si ce n'était du regard. Réprobateur. Bien entendu. Mais ils coulaient sur lui, son allure, son couteau, avant de l'atteindre elle. Il était tellement plus visible. Tellement plus exposé. Bouclier en plus de lame. Et puis, qui aurait reconnu vraiment, en dehors d'un être particulièrement fin, la femme de mauvaise vie en cette demoiselle que certains semblaient songer être enlevée sous leurs yeux, jusqu'à voir son sourire faible ? A son pas mesure, le pavé était dévoré, touche à touche, avec cette régularité qui le caractérisait. Bientôt, des étals divers, des devantures d'échoppes, bientôt celles d'une vendeuse de fleurs. Des fraîches, des coupées, des éternelles comme on disait de ces parures qui ne perdaient qu'un peu de couleurs à mourir et à être sèches, d'autres en petits pots peints. Son regard consentit à se perdre sur les couleurs, les variétés, cherchant d'instinct leur rythme et la volonté sous-jacente qu'il pouvait révéler. Il se dit, fugacement, que la vendeuse était une femme un peu seule, même si elle était probablement mère de famille et épouse. Une femme qui passait ses jours entre ces végétaux, et ses nuits entre des draps froids.

Immaculée. La façon dont on est maculé, à mes yeux, n'est pas celle du monde. Être dépourvu de marques n'est pas une vertu. C'est un hasard. Peu de gens peuvent se targuer d'avoir une force suffisante pour se défendre eux-même dès le berceau. Parfois, des choses arrivent, Mère Shany. Un accroc. Une fêlure. Certains ici pensent alors que la valeur n'est plus. Pourtant, la lumière joue davantage avec ce qui l'accroche. Le relief est plus présent.

Il parlait beaucoup, certes. Mais elle voulait l'entendre. Son sourire n'était plus -Puisqu'il était pour elle- quand la tenancière passa une barrière toute relative de petits buissons sagement rangés pour venir vers ses étranges clients. Neige la salua d'un hochement de tête, main libre au ventre pour s'incliner. Reprit encore, à l'étonnement de cette dame aux yeux un peu vides, las, qui se troublaient à les regarder tous deux, et à les entendre.

La nature n'est jamais immaculée. Elle n'est que creux, déchirures, bosses. C'est cet ensemble qui la rend esthétique. D'instinct, notre oeil voit la beauté dans ce qui est changé. La tige, lisse et sans défaut, n'est jamais ce qui est trouvé beau. Ce sont les pétales, qui eux varient et s'abîment, qui détiennent la grâce. Ce n'est que la façon dont on construit des murs réguliers pour enfermer les bêtes nues au dehors et habiller celles au dedans qui nous fait varier.

Et, avec une voix mécanique, pourtant si chaude et grave, il ajouta pour la dame qui était venue, et qui était maintenant perplexe.

Bonjour, Dame. Si vous pouviez montrer vos plus belles pousses à Dame Shany. Pas un mot sur le prix.

Il ne tenta pas de sourire. Avec cette once de perplexité coutumière, il remarquait que la vendeuse aux bras replets et blancs commençait à avoir peur de lui.

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