Do you wanna see, miss? [Casey Howell]

Le soleil est bas dans le ciel, et sur le parvis de l'opéra, il y a foule, il y a presse. Ce soir, on donne un tout nouveau spectacle, le Royal Ballet et le Royal Philarmonic Orchestra sont sur des charbons ardents depuis des semaines. Et Seleire le sait bien, il aurait été étonnant de sa part qu'il n'ai pas connu quelque peu intimement certaines de ses danseuses, ou des musiciennes peut-être, ah, en tout cas, la rumeur court là aussi. A force de le voir venir roder là régulièrement, offrir de superbes bouquets, ou même des bijoux à celles dont la prestation lui a le plus plu, beaucoup finissent par reconnaître sa tignasse rousse. Et après tout, puisqu'il ne dérange pas, qu'il n'est avare ni de compliments, ni de cadeaux, ni de joyeux éclats de rire, qu'il est entré et qu'il à l'air d'y être comme chez lui, personne ne vient plus vraiment lui demander ce qu'il fiche là.

Mais pour le moment, il est dehors. Dans une ruelle attenante à l'opéra, il attend. Aujourd'hui, il n'a pas particulièrement envie d'y assister seul à cette représentation, alors il s'est installé là, contre le mur, et il regarde les gens passer, attendant de voir si quelqu'un attirera son attention d'une manière ou d'une autre, si l'une de ces personnes un peu trop pressées lui donnera envie de lui proposer de l'accompagner.
Oh même s'il ne trouve personne, il ira, bien sûr, et dans le pire des cas, le spectacle se jouera plusieurs jours d'affilée. Mais aux premières, il y a toujours une ambiance qu'on ne trouve pas à d'autres moments. Cette excitation, nerveuse, joyeuse à la fois, la tension, l'attente qui vibre dans l'air. Et ensuite, c'est un réel plaisir de voir tous ceux qui ont participé à ce moment de bonheur exulter de l'avoir mené à bien, trouver cette assurance qui ne fera que grandir au fil des représentations.

Il affiche une certaine simplicité, même si ses vêtements sont de très bonne facture. Une chemise blanche aux premiers boutons défaits pour être à l'aise, un pantalon gris, un gilet noir et par dessus, une veste tout aussi noire, il est venu pour voir et non pour être vu.
On pourrait même peut-être se demander s'il n'est pas qu'un technicien venu prendre l'air avant le branle bas de combat.

Oh il aurait parfaitement les moyens d'acheter une place, il l'a fait d'ailleurs. Mais il se sent d'humeur nostalgique ce soir, comme au bon vieux temps.
Il se rappelle assez bien de tout ce temps passé en coulisses quand il était gamin, à regarder toutes ces jolies dames enfiler leurs costumes, à les aider à se maquiller ou se coiffer, récoltant au passage baisers et friandises. A écouter les crêpages de chignons et les consolations, à voir l'excitation fébrile juste avant de passer le rideau. Puis il devenait une paire de petits yeux et de petites oreilles, juste là, derrière ce fameux rideau, collé à la minuscule fente qu'il s'était ménagé.
Il était le seul en dehors des artistes à entendre le léger raclement des pieds sur la scène, à si bien voir les musiciens dissimulés dans la fosse. Et même le souffleur, concentré sur sa tâche, dont le nez pointait parfois hors de sa cachette. Parfois, on le retrouvait, endormi, fermement accroché au rideau, mais en général, il n'en ratait pas une miette, presque hypnotisé par toutes ces merveilles.

Ah, ça, c'était le bon temps.

Humm. Plus il la regardait s'avancer dans la rue du coin de l'œil, plus il se disait que c'était certainement l'occasion qu'il attendait. Mignonne comme tout en plus, pour ne pas gâcher son plaisir. Il a toujours apprécié ce genre de jeunes femmes, de petit chaton timide, qui sont en général bien plus passionnantes à côtoyer que toutes ces élégantes qui se donnent de faux airs de fraîcheur pour s'attirer un bon parti, quelle que soit la situation. Et dieu sait que certaines sont particulièrement envahissantes. Il en frissonnerait presque d'horreur rien qu'à y songer.
Qui sait? Peut-être qu'il saura la convaincre de lui tenir compagnie, en toute bonne foi, bien évidemment, et avec un peu de chance, elle aura certainement quelques petites choses intéressantes à raconter.

Ni une, ni deux, il se faufile dans la foule, la traverse discrètement pour se retrouver à plusieurs pas derrière la jeune femme. Ah ! Parfait, elle s'est arrêtée. Et bien sûr, impossible de résister à la tentation de ce truc éculé, vieux comme le monde. Soit ça prendra, soit il en rira avec grand plaisir.
Et il se fait passant, à l'aune des autres, et en marchant, faussement pressé, il bouscule cette petite rouquine immobilisée en plein milieu de la rue. Oh il fait bien attention, pas de quoi la faire tomber non, simplement pour lui faire verser une partie du contenu de son panier. Encore un pas, deux, avant de pousser une exclamation sonore et de se retourner tout d'un bloc.

"Ah ! Merde alors, désolé mademoiselle !

Il revient sur ses pas, s'accroupit, pour empêcher les passants de piétiner le contenu du panier.

"Je ne vous avais pas vue, je suis vraiment désolé ! Je ne vous ai pas fait mal j'espère?

Il lève vers la jeune rouquine un sourire avenant, ma foi assez sympathique, avec ce fond d'assurance masculine indéfectible qui fait partie intégrante de sa personne.

Et voilà, la discussion est engagée, ne reste qu'à voir si ça prendra ou si le soufflé retombera, lui en tout cas, s'amuse comme un petit fou, voilà longtemps qu'il n'avait pas utilisé cette "ruse" là pour faire connaissance avec quelqu'un. A croire que cette soirée est faite pour lui rappeler de bon souvenirs. Quand il n'était même pas encore vraiment adulte, qu'il faisait ce coup-là, poussait parfois jusqu'à rattraper ce qu'il avait fait tomber avant que ça ne touche le pavé. Fou comme le temps passe vite, lui qui tous les ans s'étonne d'être encore en vie malgré tout et se jure de continuer. Toujours plus haut, toujours plus bas.

Il s'est relevé, l'a aidée à ramasser tout ce qu'il a sciemment renversé et d'autorité, a pris sa main, souriant toujours, il ne la laissera pas s'enfuir facilement.
Il a bien vu cette ombre dans ses yeux, cette déception, mais qui sait, au final, peut-être sera-t-elle contente qu'il ne l'ai "pas vue" ce soir, il va s'y employer en tout cas. Et ce sera certainement un plaisir de le faire. Quoi qu'il en soit, il en faudrait bien plus pour qu'il s'avoue vaincu.

Il se fend d'une main sur le cœur, théâtrale, avant de partir d'un rire chaleureux.

Ouf, vous m'en voyez soulagé, j'ai été terriblement maladroit sur ce coup-là !

Il remet les boucles rousses de la jeune femme en place, avec une délicate familiarité, sans même effleurer sa peau.
Et ne cache pas que ses yeux s'illuminent à sa demande. Une habitante du manoir, ça, c'est une drôle de coïncidence, voilà qui la rend encore plus intéressante. Cela dit, elle n'avait pas forcément besoin de ça pour trouver grâce à ses yeux. Une cuisinière, timide petit chaton qui ose lui demander sa route malgré le malaise palpable qu'elle dégage. Un défi, toujours, de réussir à la convaincre de lui tenir compagnie pendant la représentation, avant de la raccompagner jusqu'à la demeure de Lady Delight.

Aah, le manoir Delight ! Bien sûr que je connais le chemin. Tenez, donnez-moi ça.

Sans forcer, mais sans réellement lui laisser le choix, il lui ôte son panier. Avec juste ce qu'il faut de galanterie, de bonne volonté et de sourire.

Je vais vous accompagner jusque là-bas.

Ou tout du moins, elle va se laisser accompagner, difficile pour elle de prendre la poudre d'escampette maintenant qu'il lui a subtilisé son panier. L'anse bien calée sur son coude, il prend la rouquine par le bras, fait quelques pas, avant de s'arrêter subitement.

Ah ! Mais j'en oublierai presque la raison de ma présence ici.

Un regard, un sourire, pour elle, qui disent aussi bien que des mots qu'elle et elle seule est la cause de cette mémoire vagabonde. Mais rien, non, absolument rien de lubrique, d'envieux, non, juste la simplicité d'un homme qui apprécie la compagnie féminine, sans forcément en attendre plus.

Et de toute façon, je ne peux pas vous laisser filer sans m'être fait pardonner ma maladresse.

Et sans lui rendre son panier bien sûr, mais inutile de le préciser, n'est-ce pas? Il la guide hors de toute cette foule qui va et vient, jusqu'au mur de l'opéra, à l'abri de la presse et d'une autre bousculade. Et soudain, son sourire s'illumine. On en vient à l'idée première, oh, il va se fendre d'un petit mensonge, mais après tout, si jamais elle finit par lui en vouloir, ça ne durera pas longtemps, n'est-ce pas.

Je sais ! Je travaille ici. Un mouvement du menton pour désigner l'opéra. Il se penche légèrement sur elle, assez peu, pour éviter de la mettre mal à l'aise, assez tout de même pour donner à ce qu'il va dire les accents du secret. On donne un tout nouveau spectacle ce soir, je suis sûr que ça vous plairait d'y assister, non?

Et puis je suis censé être à mon poste pendant la représentation, et je dois vous guider jusqu'au manoir, alors je crains que vous ne soyez tout simplement obligée de m'accompagner à l'intérieur le temps du spectacle, pour qu'ensuite je puisse prendre mon rôle de chevalier servant tout à fait au sérieux.

Ce à quoi il ajoute un clin d'œil plein de franchise, pour démentir ses paroles, bien sûr qu'elle n'est pas obligée, mais ça lui ferait vraiment plaisir qu'elle accepte, en tout bien, tout honneur, voilà ce que dit son attitude.

Je suis sûr que Milady vous pardonnera d'avoir pris sur votre temps pour apporter du baume au cœur du pauvre malheureux solitaire que je suis.

Une pointe d'exagération seulement, il ne veut pas la mettre mal à l'aise, simplement la faire rire un peu, ou au moins sourire.

Un immense soupir, voilà ce qu'elle lui tire. Qu'il ne prend sûrement pas la peine de cacher. Il écarte largement les bras. Par tous les dieux, cette méfiance perpétuelle, il ne s'y fera jamais. Elle ne sait même pas qui il est, non, mais rien que le fait d'être un homme... C'est à se demander pourquoi il prend la peine de penser avec autre chose que ses bijoux de famille puisqu'il est taxé pervers d'office.

Regardez-moi, mademoiselle, si j'avais l'intention de vous voler, je serais déjà loin avec votre panier, si j'avais des intentions plus perverses, j'aurais trouvé une ruelle sombre, et pas un coin de mur à quelques centimètres de la foule. C'est bien dommage de vous méfier de moi comme ça. Et ne parlons pas de toutes ces mauvaises idées que vous me prêtez certainement.

Il secoue piteusement la tête. Il en rajoute un peu, certes, il n'est pas aussi touché qu'il le prétend. Mais tout de même, échouer parce qu'il n'a pas su éveiller l'envie ou la curiosité, ce ne sera pas la première fois, et il est tout à fait bon joueur. Mais rire un peu, au moins un sourire, c'est la moindre des choses. Décidément, les gens ne savent plus profiter des occasions qui se présentent pour passer un bon moment.

Vraiment, vous me blessez, mademoiselle. Je vous ai promis de vous raccompagner et Lady Delight serait bien déçue d'entendre dire que j'ai abandonné l'une de ses protégées, ce serait un bien piètre cadeau à lui faire. Non, vraiment, la prochaine fois que je la verrai, je n'ai certainement pas l'intention de lui faire ce présent là.

Et ça, il le pense, non, il ne laissera pas un des habitants du Manoir se perdre en ville, risquer de se faire réellement voler ou agresser. Certes, nul ne peut être partout, mais là où on est, on y est. Et s'il est quelqu'un de particulièrement indépendant et solitaire, la maxime "Les amis de mes amis sont mes amis" est quelque chose qui fait entièrement partie de ses principes. Si Lady Delight offre sa protection à ce petit chaton méfiant, il en fait de même sans se poser la moindre question.

Venez, venez voir.

Un pas de côté, il désigne une porte encastrée là, dans le mur, avant de tirer une clé de la poche de sa veste. Elle convient parfaitement à la serrure. Il entrouvre la porte, s'écarte de quelques pas pour lui laisser voir.

Si vous vous méfiez de moi, vous ne pouvez pas vous méfier de l'opéra, tout de même. Regardez par vous-même si j'ai menti ou non.

Une bouffée de musique étouffée, harmonieuse, presque enivrante , l'ultime répétition. Au bout d'un petit couloir, de vives lumières, des nuées de danseuses déjà en costume, dorures, plumes, maquillage, discutant, s'encourageant, se disputant, s'assurant que les pas les plus compliqués sont bien intégrés. La rumeur surexcitée de l'heure qui se rapproche, du rideau qui va bientôt se lever.

Vous voyez? Et si je suis sincère sur ce point, pourquoi ne le serais-je pas sur le fait de vous raccompagner simplement jusque chez vous?

Un soupir dépité, et il pose la main sur la poignée, referme la porte sur toutes ces merveilles envolées. Tourne la clé.

Voilà, je voulais juste partager ça avec vous pour me faire pardonner ma maladresse, juste vous être agréable. A la place, je me fais traiter comme un voyou. Vraiment, je suis déçu.

Allons, venez, je vous raccompagne, j'ose espérer que vous n'irez pas jusqu'à m'empêcher de tenir ma parole.

Tant pis, il ne ratera que le début de la représentation, le retour jusqu'à l'opéra, il le fera en courant.

Il ne lui rend pas son panier, fait quelques pas, se retourne, pour l'attendre. Si elle ne veut pas de sa galanterie ni de ses sourires, il ne prendra sûrement pas la peine de les offrir. Mais ce qui est dit, est dit, il n'abandonnera pas un petit chaton du manoir Delight.

Il l'a laissée parler jusqu'au bout, sans l'interrompre une seule fois. Et il l'a écoutée. Décidément, elle a beau dire, en plus de la méfiance, on la sent, cette pointe de mépris vis à vis des hommes.

Alors plusieurs choses.

Il s'arrête, se retourne pour la regarder. Oh, il n'est pas énervé, non, il en faudrait bien plus pour ça, mais le ton de sa voix s'est légèrement durci.

Déjà, je ne veux pas entendre d'excuses sur un soi-disant manque d'éducation. Ni rien à propos de classe sociale.

Un geste de la main, désinvolte, comme pour chasser l'idée avant même qu'il ne l'émette.

Parce que si tu veux jouer à ça, moi, je suis en-dessous de tout le reste, donc t'auras plus d'excuse pour t'offenser de ce que je dis, et tu serais bien avancée.

Ensuite, tu n'as peut-être rien demandé, mais moi si, j'en ai autant le droit que toi. Je ne vois pas quel crime j'ai commis en voulant simplement t'inviter dans les coulisses de l'opéra pour regarder le spectacle en compagnie de quelqu'un et en faire profiter.

Il s'approche, prend son menton entre ses doigts pour la regarder dans les yeux. Pas de délicatesse, ni de douceur, simplement la précision du geste, pour ne pas lui faire mal.

Et je n'ai pas l'intention de te traiter comme une moins que rien. Que je le doive ou pas, je m'en fous, jeune fille. Je traite les gens comme il me plait, ne viens pas me reprocher d'être un homme qui a des égards pour les femmes.

Un soupir et il se radoucit, il ne se sera pas même irrité, à peine plus dur qu'à l'habitude. Il hausse les épaules, décidément, chacun semble s'ingénier à se compliquer la vie de façons qui le dépassent complètement.

C'est dommage que ça te fasse de la peine que quelqu'un veuille juste être agréable avec toi.

Il reprend sa marche, pas trop vite, pour ne pas l'obliger à forcer le pas. Et reprend, le plus sérieusement du monde.

Et je ne me sers pas de Lady Delight, ce que j'ai dit, je le pense. Ca n'a rien à voir avec ta réaction, je suis un salopard de première, mais pas contre les gens que j'apprécie.

Un temps de réflexion, un sourire amusé, pour lui-même.

Pas trop en tout cas. Quoi qu'il en soit, ceux qu'elle prend sous son aile, quel que soit le nom que tu leur donnes, je n'ai pas l'intention de leur faire du mal, au contraire, si je peux les aider, je le ferai.

Enfin, pour ce que ça servira de le dire, elle ne le croira sûrement pas.
Il s'immobilise encore, lève dramatiquement les bras au ciel sans que le panier ne semble le déranger, puis il se retourne.

Bon, reprenons du début.

Il lui tend la main, fait un grand sourire un peu exagéré, mais rien de moqueur non.

Moi, c'est Seleire Laranne. Appelle-moi Seleire, ou Sel. Je suis un voleur, un assassin de haut vol, et comme tu vois, je ne t'ai rien volé, et je ne t'ai pas tuée non plus. Il dit ça comme il aurait dit qu'il est plombier, montreur d'ours ou précepteur. Difficile de le croire, difficile de croire qu'il ment.
Oui, je connais Lady Delight, et j'ai bien l'intention de la connaître un peu plus à chaque fois que j'irai la voir. Oui, j'ai bien compris que tu n'aimais pas mes manières, mais il va falloir t'y faire, au moins le temps du trajet, et sûrement plus, parce que je n'ai pas l'intention de déserter le manoir Delight à cause de tes griffes, chaton.

Il se détourne, reprend une nouvelle fois la marche. Par tous les dieux, c'est fou ça, comme si c'était une insulte d'être poli et galant.

Et sache, mademoiselle-que-je-traite-au-dessus-de-sa-condition que ce n'est pas parce que je suis pourvu d'une paire de couilles que je suis un être abject, sordide et méprisable.

Un soupir désabusé. Il sait parfaitement que ce qu'il vient de dire lui fera certainement croire le contraire, qu'elle va même sûrement être capable de lui reprocher de ne plus être si poli que ça. Oh, et sûrement qu'il n'a pas à lui parler sur ce ton alors qu'il n'a pas même élevé la voix. Mais perdu pour perdu, il ne va tout de même pas s'empêcher de dire ce qu'il pense.

Pas plus que parce que tu ne croules pas sous les bijoux et les grandes envolées de plumes je devrais te regarder de haut.

Il lui a laissé un peu d'avance. Et puisqu'elle tient tant à simplement avoir peur de lui, autant lui en donner pour le compte. Sans délaisser le panier, il avise une gouttière qu'il escalade sans peine.
Dans ce quartier, les toits sont bien assez rapprochés, il court, souplement, simple ombre dans les ombres des cheminées. Il la rattrape bien vite, en contrebas, à courir comme si elle avait le diable aux trousses.
Peu importe, tant qu'elle court dans la bonne direction, ils se contente de suivre, courant, sautant, sans vraiment se fatiguer à vrai dire.
Ah, elle bifurque dans la mauvaise direction. Plusieurs choix s'offrent à lui, ou bien il saute pour lui barrer la route, mais ça va casser le rythme. Ou plutôt... oui, il a trouvé. Il éclate de rire, un rire terrible, celui de la mort en chemin, qui rebondit du fond de la ruelle jusqu'à l'entrée, cognant les murs et les portes fermées.

Et ce rire la poursuit, fait pour l'effrayer, l'empêcher d'aller là où il ne faut pas. Et pour prévenir tous les corbeaux du coin qu'ils feraient mieux de rester à l'abri et de ne pas toucher à ce petit chaton aux abois si tentant. Celui qui osera passer outre finira un couteau planté dans le dos.

Le panier est toujours calé sous son bras, il n'a rien semé en chemin, ce serait bien mal remplir son rôle de raccompagnateur.

Il aurait presque de la peine pour elle. Presque. Elle a choisi d'avoir peur de lui malgré tout, c'est son problème maintenant. Lui, il tient sa promesse. Il ne va pas non plus s'acharner à lui courir après pour la convaincre qu'elle ne craint rien, tant pis pour elle si elle a préféré la défiance. Non mais franchement, quel intérêt il pourrait bien avoir à la voler ou à la tuer. Fou ce que les gens peuvent se considérer comme le centre de leur petit monde parfois.

Voilà, elle débouche dans la rue du manoir, à une centaine de mètres tout au plus. Un ultime éclat de rire pour la pousser du bon côté, et il se tait, se fond dans la discrétion, dans les ombres qui lui ouvrent les bras.
Aah, par tous les dieux, qu'il aime cette sensation, cette chaleur, plus douce, plus belle, que bien des femmes et les nuits passées dans leurs bras. Peu d'entre elles peuvent se targuer d'avoir le dessus dans ses amours.

Sans un bruit, il retrouve les pavés de la rue. Il se faufile jusqu'au perron du manoir, où il dépose le panier. Entier, pas une égratignure, pas un légume ni un sous qui ne manque. Il y ajoute même une petite fleur de cuivre fileté, des volutes de fil de cuivre pour représenter la tige, les pétales, et une perle, nichée en son cœur.

Tout juste le temps de la glisser au fond du panier et elle arrive.
Il recule sans bruit, toujours invisible à ses yeux, dans la nuit, une ombre n'est qu'une ombre parmi tant d'autres. Et il s'éloigne. Il n'attendra pas pour voir sa réaction devant son panier qui l'attend bien sagement, à vrai dire, vu l'heure qu'il est, il a tout juste le temps de retourner jusqu'à l'Opéra pour ne rater que les miettes du début de la représentation.