I bet you'll owe me a big fat purse.

Une nuit parmi tant d'autres. Et comme bien souvent, il avait un rendez-vous important. De ceux auxquels il allait exclusivement pour son propre plaisir, et dans lesquels l'obligation n'était qu'une très vague notion.
Le genre d'activité à laquelle il allait s'adonner d'ici une bonne demi-heure faisait partie des nouveautés de sa vie. Enfin, disons qu'il s'était découvert ce passe-temps potentiellement très lucratif peu avant d'arriver à Londres, et qu'il ne lui avait pas fallu très longtemps pour trouver dans quels sous-bassement on le pratiquait ici.

Tout de noir et de cuir vêtu, sa tenue favorite lorsqu'il s'agit de faire usage de ses talents. Quelque chose qui, involontairement, souligne la finesse et la puissance d'un corps particulièrement travaillé. Et comme souvent, lorsque l'on pousse la perfection dans des objectifs tout autres, l'esthétique vient s'y ajouter tout naturellement, sans qu'on ne le recherche. Il avait toutes les allures du prédateur en goguette, et pour tout dire, ce n'était pas loin d'être la vérité, si ce n'est que ce soir, il chassait violence brute et pièces sonnantes et trébuchantes.

Les quelques passants qui le remarquèrent détournèrent bien vite les yeux, autant ne pas risquer d'attirer son attention, qui sait ce qu'un homme de son acabit pourrait décider sur un coup de tête. En l'occurence, il se fichait des passants comme de sa première chemise. S'il faisait partie de ceux qui sont drogués à cette giclée d'adrénaline inimitable lorsque l'on se retrouve confronté au danger, si donner la mort faisait partie des pulsions qu'il contrôlait le moins chez lui, il n'avait encore jamais franchi l'étroite frontière qui sépare le fou dangereux psychopathe du tueur dont c'est le métier. Cela faisait partie des rares limites qu'il s'était imposées dès le départ et auxquelles il n'avait jamais déroger, ne jamais tuer sans raison.

Ses pas silencieux le menaient rapidement à travers les rues embrumées, évitant machinalement les ronds de lumière sale et diffuse projetée par les lampadaires. La bicoque noire de suie devant laquelle il s'arrêta ne vaut pas la peine d'être décrite, comme toutes les autres, elle étalait une épaisse couche de détritus sur son perron, et n'offrait que des fenêtres aveuglées par des planches à la vue. Celle-ci comme une autre, ça ne l'intéressait pas particulièrement de toute manière, non, ce qui l'intéressait, c'était la minuscule ruelle qui passait derrière. Et dans cette ruelle, la lourde plaque d'égout qu'il souleva lentement.pour se faufiler en dessous. Le temps de la faire glisser dans son emplacement, avec à peine un raclement, et il avait disparu aux yeux des bonnes et moins bonnes gens de Londres.

Dans l'obscurité un peu trop odorante des égouts, ses bottes tintèrent une seule et unique fois sur les barreaux de l'échelle et il se laissa tomber jusqu'au sol. Une très vague lumière sourdait depuis les grilles au niveau des trottoirs, juste ce qui lui était nécessaire pour se déplacer ici. Après tout, il connaissait plutôt bien le chemin maintenant. A mesure qu'il progressait dans le boyau de pierre, une vague rumeur commençait à prendre de l'ampleur. Et lorsqu'il poussa une vieille porte rongée par l'humidité, remonta prestement un long et étroit couloir, elle explosa dans toute sa fébrilité.

Il déboucha dans une vaste salle, le haut plafond soutenu par d'épais piliers, éclairée par des torches à la lumière fuligineuse. Une scène trônait entre quatre énormes piliers, enfin, plus qu'une scène, un ring, autour duquel se presse une foule dense et pour beaucoup malodorante. La majeure partie des bas-fonds de Londres s'était donné rendez-vous ici ce soir. Et quand notre Monte en l'air fit son apparition, il fut salué par bien plus de sifflets et d'insultes que d'applaudissements et d'acclamations. Il n'en avait cure, extérieurement comme intérieurement, il s'amusait comme un fou. Il s'immobilisa sur le pas de la porte et leva haut les bras, ajoutant sa voix aux cris et grognements qui retentissaient.

Alors les gars, prêts à vous faire ratiboiser les bourses? Qu'est-ce que vous m'avez trouvé cette fois-ci?

Pendant un instant, la foule se fit houleuse, beaucoup d'entre eux prêts à tenter de faire ravaler cette bravade à ce satané frog qui venait les provoquer jusque chez eux. Il fendit la foule sans s'en soucier. Ils le haïssaient pour beaucoup, mais ils le craignaient également, et par-dessus tout, ils étaient là ce soir pour le spectacle qu'il allait leur offrir, qui irait se gâcher soi-même sa soirée? Sans trop de peine, et avec force bourrades et coups de coude, il parvint jusqu'au plateau de bois. Assis à une table collée là, un petit homme, affligé d'un strabisme et d'une face qui avait tout de la gueule tordue et pas grand chose du visage humain, qui releva la tête, plissa les yeux, et s'exclama :

Ah ! Enfin ! Il était temps, tu es en retard, ils ne vont plus se contenir bien longtemps. Combien tu mises?

Sel' se fendit d'un large sourire, et plaqua une lourde bourse sur la table.

Comme toujours, comme toujours. Allez Terk', arrête de râler, tu vas t'en mettre plein les poches grâce à moi.

Une brutale claque dans le dos, et il se hisse souplement sur le ring, prêt à évaluer son adversaire. Avec tout le flegme qu'il possède il se défait de son plastron de cuir, détaillant d'un oeil scrutateur cet espèce de mastodonte qui lui faisait face.
Enorme tas de muscles qui faisait bien près de deux têtes de plus que lui, et deux fois plus large par la même occasion, pourvu d'une petite tête percé de deux petits yeux porcins à la lueur mauvaise. Il poussa un grognement en fixant le Monte en l'air, et esquissa le geste de lui broyer le crâne entre ses mains grandes comme des battoirs.

Salut p'tit père, prêt à te faire mettre?

Sel' arborait un sourire goguenard, torse nu, faisant jouer sa musculature fine, sautillant légèrement sur ses pieds. Les insultes sont de coutume, et dans l'ensemble, bien peu d'adversaires s'y laissent prendre. Ce gros tas en face de lui avait pourtant l'air de prendre ses paroles très au sérieux, il serra les mâchoires à s'en faire crisser les dents.
Le mince combattant ne se priva pas d'en rajouter, il observa son bras, son poing qu'il ouvrit et referma lentement, puis singea un coup porté par le bas, en jetant un regard évaluateur à son opposant. Il conclut ce geste par un sourire plein de dents, signifiant ce sous-entendu bien peu subtil qu'il venait de faire.