I hope you'll love me [Sucrerie]

L'instant d'avant, elle était dans son boudoir, Harlé sur les genoux, à lire un ouvrage sur d'antiques histoires de Londres. C'était mièvre et romancé, long et pâle, c'était parfait pour emplir un jour. Elle caressait son Chat, rêveuse, endolorie par le jour que les rideaux épais ne laissaient pas filtrer. Sur ses lèvres, le goût marqué de la saveur d'une femme traînait encore, ainsi que le sourire tendre et presque innocent de la pécheresse qui sait avoir offert un instant d'une effroyable sensualité à une Damnée. Enfer pour Enfer, autant qu'il soit... Sucré. Puis, le Chat s'était levé, peut être pour rejoindre le Serpent, pour jouer à des jeux cruels et sérieux comme les enfants savent les faire. Elle s'était levée à son tour, allant et passant, le jour peinant à décliner et à laisser la Nuit lui rendre ses forces. Elle avait, fugacement, croisé son Amelia qui dansait loin du jour. Cette étrange augure du feu alliée au jour lui rendit un instant sa faim, à la mesure de sa certitude tranquille que ce signe n'était pas vain, et lui était destiné. Un claquement de langue chassa la rumeur du Sang, puisqu'il n'était pas temps.

Elle remontait les pas de l'Oisillon, sa stature et son allure revenant à la vie à mesure que le soleil, lui, mourait au loin. Les candélabres furent religieusement allumés par ses petits servants colorés, rendant hommage à l'éclat plus grand de l'or lorsqu'il est éclairé de peu.
On l'appelait, et elle franchit une porte, les flammes dansantes se jouant des reflets, faisant comme une myriade d'étoiles filantes. Cannelle. Après son Chat, son Chaton, et la pensée qu'il faudrait les présenter bientôt et veiller à ce que l'un ne se sente pas dépouillé de son genou par l'autre fut notée, en bonne place. Son image était déjà superposée par dizaines à celle de la frêle cuisinière. Son sourire était celui de la douceur même. Du miel. De l'apaisante camomille.

Comme tu es ravissante, ma Cannelle... Le manoir t'a rendu des couleurs.

Et la main, caressante, vint trouver la courbe d'une épaule, l'envelopper, la presser contre elle. Elle la prenait en ses bras, avec ce naturel si tendre, si impudique mais si chaste, à l'instar d'une véritable mère qui pouvait être nue devant ses enfants sans que jamais ça ne soit insidieux. Un baiser à la tempe acheva de retirer à l'instant ce qu'il aurait pu avoir de troublant, pour n'être que cotonneux, en cocon, dans ses bras tièdes.

Bonsoir, mon trésor. Je suis là.

Dans son sourire, son souffle, son attitude, il n'y avait que ces mots: Comme je suis heureuse de voir que tu vas bien, comme je suis contente de voir la petite fleur que tu es s'épanouir, je suis là, rien que pour toi, ne tremble plus, tu n'auras plus froid. C'était si simple, si absolu... Du miel, oui. Un bon lait chaud avec du miel, après une sortie sous la pluie. Sa main chassa des joues les larmes qui n'y avaient pourtant pas coulé.

Oh, comme elle fut touchée, à cet instant. Oh, comme le soupir qui franchit ses lèvres est doux, aimant, sans la moindre étincelle de luxure. Là, là, elle la pressa contre son sein, passa sa main délicate dans la chevelure flamboyante, aux reflets d'incendie, dus aux flammes scintillantes des chandeliers. Elle apposa sa joue à cette tempe embrassée et offerte, elle berça cette frêle petite jeune fille éplorée, orpheline qui a trouvé demeure et foyer. Milady se moquait bien des convenances et des barrières, des pudeurs et des timidités, et pas un instant ne chercha à la repousser, à lui rendre son statut de servante, ni même l'allure d'une enfant de Noble, qui se devait de vouvoyer sa génitrice. Elle était sa Mère, qui n'avait pas enfanté, mais qui au contraire d'une autre, l'avait choisie, choyée.

Et, comme toujours en ces instants où la Destinée ou le Démon place un nouveau petit être dans son giron, elle regretta de n'avoir été là dès qu'elle avait ouvert les yeux. De l'avoir laissée ces années rudes dans le froid d'un abandon.

Et je serai toujours là pour toi, ma Cannelle. Non, tu ne rêves pas, le mauvais rêve est fini, maintenant. Je suis là.

Les intentions, les caresses tout était fait pour que Casey ne pense plus à ses manières, à son statut, que Cannelle puisse croire, accepter qu'elle l'avait déjà été, elle, que tous la considéraient ainsi, aussi simplement, d'une façon aussi évidente. Il n'y avait plus de questions, de méfiance, juste ce petit nid qui s'était échoué à Londres et qui recueillait le Chaton dans sa chaleur douillette. La main d'Ambrosa reprit son charmant labeur, que de sécher ses joues, de faire s'évader les marques de tristesse pour que le sourire en brille davantage. Comme elle souriait, elle, d'un sourire léger, fin, assuré. Qui ne pouvait qu'appuyer ses paroles. Comment croire qu'elle pourrait l'abandonner, ou disparaître? Elle était fée, ange, Mère. Et elle était là pour elle. Ses yeux indéfinissables étaient d'un ocre profond, chaud -Mais ils l'avaient toujours été, n'est-ce pas?- et s'étaient rivés aux siens, emplis d'une affection pure et forte, toute maternelle.

N'aie plus peur... Nous sommes tous là, dorénavant.

Acheva-t-elle, dans un murmure complice, sincère. Il n'y avait bien qu'une maman pour savoir avoir ce ton, à la fois joueur et affirmé, doux et plein de soutien. Il ne pleuvrait plus sur le front du chaton autre chose que des baisers.

Le pincement de regret s'estompa, quoique toujours présent, et avec la certitude d'y être toujours, quand Ambrosa put constater à quel point sa petite Cannelle semblait prendre de l'assurance, se laisser approcher par la tendresse. Enfin, elle n'était plus méfiante, à la manière des enfants qui se rétractent face aux mains tendues, trop accoutumés à ce que ce soit pour donner un coup et non cet amour qu'ils méritaient. Si elle l'avait pu, elle aurait recueilli le plus vil des garnements, le plus rejeté des bambins, que ce soit pour la laideur de son âme ou de ses traits, ou par la faute d'une vie trop ingrate. Si elle l'avait pu!... Au moins, le faisait-elle de ceux qu'on lui portait, que ce soit par hasard ou par rumeurs. Elle entreprit d'essayer de coquettes coiffures, fugaces, de ses doigts plongés dans la fauve chevelure de Casey. Comme ses boucles étaient ravissantes, parfumées ainsi des odeurs des épices de son petit domaine à elle.

Je bénis Dieu de t'avoir protégée, avant de te trouver.

Toute ambigüe que pouvait être cette phrase dans la bouche d'une femme qu'on comparait aisément à une Succube, elle était douce, et simple, de ces vérités que détiennent celles qui mettent au monde. A sa seconde question, les lèvres de Milady prirent un pli amusé, masquant à merveille ce qu'elle pouvait avoir d'appétit notoire en cette soirée qui était pourtant le lendemain d'un repas qui l'avait assouvit.

Je mange toujours peu à table. J'ai cette faiblesse envers les gourmandises, ces petits bonbons, et je vais rarement aux repas avec grand faim. Ta cuisine est parfaite, ma Cannelle, et je suis navrée d'y faire si peu honneur, mais je ne voudrais pas la gâcher en m'emplissant plus qu'il ne le faudrait. Sais-tu manier le sucre?

Son expression fila en une moue plus gourmande, légèrement amusée. Ce serait ravissant, s'ils pouvaient confectionner de ces petits péchés adorables et colorés. Elle songeait déjà à lui faire descendre une plaque de marbre, pour faire refroidir les caramels et des bêtises.

Ne t'inquiète pas pour ça, tes Frères et soeurs mangent bien assez pour te montrer à quel point tu es un ravissement pour nos papilles. Et non seulement pour cela, fit-elle, en attirant son attention vers l'un des miroirs. Ne voudrais-tu pas quelques nouvelles robes? Je suis certaine que des tons d'automne t'iraient à merveille.

Elle même admirait leurs reflets pressés l'un contre l'autre. Elle, si dorée, si lumineuse, et Cannelle encore si effacée. Un bel ocre, une couleur feuille d'érable, oui, voilà qui lui siérait. Des cheveux plus relevés, et un décolleté qui ferait honneur à sa pudeur et à sa vertu. Voilà qui serait charmant.

Ambrosa quitta les bras de Cannelle, avec une douceur certaine, une tendresse palpable. Ses mains glissèrent sur ses épaules, alors qu'elle se plaça derrière elle, comme pour l'admirer toute entière. Elle releva ses cheveux tout à fait, dans une coiffure à la mode qui découvrait son visage, laissant quelques mèches hasardeuses flatter les contours de son petit minois. Elle les relâcha avec un petit "houp" adorable, affecté, et ils cascadèrent sur ses épaules. Elle en revient aux épaules, puis à la taille. Elle était ravie de voir à quel point sa timide Casey osait enfin accepter les présents, considérer qu'elle les méritait, et ne rougissait plus en marmonnant qu'elle ne le méritait pas. Elle murmura.

Ca me ferait plaisir, que de te les offrir. Tu dois sans doute avoir croisé des échoppes de couturière? Il faudra que je t'y emmène. Nous choisirons ensemble, et...

Elle sourit à sa dernière remarque, et l'enlaça de nouveau un petit peu, serrant son Chaton contre son coeur avec la dévotion attendrie d'une mère.

Alors, ne dis rien, ma Cannelle. tu diras merci lorsque tu auras la robe dont tu rêves.

Elle se recula d'un demi pas, pour mieux l'englober d'un regard, cherchant de l'oeil ce qui pourrait garder sa pudeur, tout en flattant sa beauté en bouton, qui ne demandait qu'un peu de soleil pour enfin éclore.

Hm, oui, Automne, signifie dans des ton plutôt chauds, de l'ocre au rouge, en passant par l'orangé. Comme les feuilles... Je te vois une coupe assez haute sur la poitrine, pour garder ta timidité bien au chaud et ne pas te gêner des regards qui se poseraient sur toi. Car il y en aura, tu sais? Tu es jolie comme un bonbon, et on le verra. Du bleu alors? Hé bien, nous en prendrons plusieurs, de toute façon... Trois, ou quatre, pour que tu puisses choisir. Nous pourrions nous les prendre assorties, également. Qu'en dis-tu?

Elle lui fit de nouveau face alors, prenant ses mains dans les siennes. Dans ses yeux brillaient tout l'éclat d'une affection vive, quoique délicate, douce, dépourvue de la moindre pointe. Une rose parfumée, sans épine. Un lait chaud.

Nous pourrions danser toutes les deux. Et organiser un petit bal entre nous? En ton honneur. Tu pourrais y voir les bases, ainsi, et ne pas trop être dépaysée lorsqu'il y aura des étrangers pour danser et fêter avec nous...

Milady eut un rire léger, sucré et rond, alors qu'elle s'imaginait donner une réception entre eux. Les voir s'amuser, danser, faire leurs adorables bruits, leurs amusants débordements, leurs vies si pleines, si différentes, tous. Come elle les aimait. Oui, ça serait bien, comme une fête pour une naissance, un baptême. Ca lui donnerait un anniversaire.

A voir éclore en elle l'enfant qui s'était tue depuis longtemps, Milady ne put retenir un sourire ravi, presque candide, et profondément ému. Elle en eut même un rire à nouveau, alors qu'elle portait une main à sa gorge. Oui, c'était chouette, et ce mot résumait tout de sa seule forme infantile. Chouette. C'était un très joli mot, rond, doré, sucré comme un fruit confit, comme les joues roses de Cannelle.

Quand elle parle des autres, Ambrosa s'illumine encore davantage. Ah, ces enfants, ses si chers enfants, avec Cannelle parmi eux ils ne pourront s'entendre que mieux. Briser les glaces qui enserrent leurs coeurs d'avoir été si souvent si longtemps rejetés, solitaires, maudits; un petit soleil comme le sourire de son chaton roux ne pourrait, assurément que les entourer d'encore plus de douceur et de joie. Son refuge, année après année, prenait des allures d'Arche où en fait et place des animaux il y aurait eu les répudiés. Les oubliés. Les méprisés.

Elle s'écouta, ne pouvant se retenir davantage dans ses démonstrations et enlaça Cannelle, une main à sa taille, l'autre à la sienne, pour esquisser un pas de danse.

Un banquet. Oui, et tu choisiras tout ce que tu veux. Sans limites! Même toute une vache, un veau, la famille entière. Des fruits, des bonbons, tout ce qu'il te plairait. Je te veux un repas de reine!

Elle la fit tourner en ses bras, souplement, s'éloigna un peu sans la relâcher. Elle s'inventait la musique, se figurait les regards d'autres, toute une cour extatique, pour sa nouvelle enfant.

Si tu ne sais danser, je t'apprendrais. Nous t'apprendrons tous. Regarde, c'est très simple... Imagine-toi un piano, une harpe. Là, là, là. Le tempo. Le pied droit légèrement en avant, comme ceci... Puis le gauche qui dépasse. Vois-tu? A deux, ça fait comme un quart de tour. Ensuite, légèrement à droite... Légèrement à gauche... Et nous recommençons! La valse à trois temps.

Ho, non, hors de question qu'elle ne danse pas à son propre bal. Et l'oeil de Milady, si semblable à ceux de son Chaton, qui s'y était rivé, qui guettait la trace de la joie, de la découverte. En ses bras il n'y avait nulle honte, nulle peur. Juste l'amour. Complet, rond, frais. Comme les joues de Cannelle.

Elles dansèrent. Elles dansaient, et Milady faisait tout pour ne pas que sa petite Cannelle se sente mal à l'aise. Si elle riait, c'était de complicité, si elle souriait, c'était avec aménité. Pas une once de jugement, d'accusation ou d'impatience. Juste des encouragements chaleureux, tous féminins. Tout à fait ravis, et conquis, même.

Des temps? Ce sont les mesures. Le nombre de pas. Tu sais, la plupart des musiques ont une mélodie qui est cyclique, comme les boucles de tes cheveux. Ecoute, par exemple... Hm, dou, toum, hm, dou, toum... Trois temps, trois pas que l'on danse avant de revenir à ce qu'on était.

Encore un rire, et elle cessa de compter, une fois les pas appris, mémorisés. Un petit air sans queue ni tête, sans paroles, juste entonné de sa voix mielleuse, pleine de lumière. Pour donner corps à leurs gestes. Et elle reprit les pas, un, deux, trois, un, deux, trois.
Elle s'imaginait la pièce baignée de lueurs, de monde, de rires et de sourires, de délicieuses choses à grignoter, et pas la moindre ombre pesante. Une fête, une soierie, quelque chose de futile et d'indispensable. Le véritable luxe de son nid: Un petit coin de bonheur. Elle tourna, entrainant Casey un long moment, avant de se détacher à demi, dans un rire charmant tout autant que charmé.

Non, c'est après l'église, chez les bonnes gens, qu'on joue ses airs là. Ca ne veut pas dire qu'ils plaisent moins à Dieu, mais ils sont propices à la joie, non au recueillement. Sais-tu, toutefois, dans certains pays, on célèbre Dieu par des rires et des chants, puisqu'Il nous promet, et permet, le bonheur.

Un baiser sur la tempe, pour sceller ces mots, rassurer son petit chaton. Elle ne devrait plus avoir peur de rire, penser qu'elle ne méritait pas de froisser l'air de ce son. Il lui fallait vaincre cette culpabilité qu'elle semblait avoir chevillée au corps, celle d'être née, cette idée qu'elle devait tout, qu'elle n'était pas grand chose. Petit chaton oublié. Sa main caressa les cheveux de la demoiselle, et Ambrosa souffla.

Alors, qu'en dis-tu. Nous irons voir pour tes robes demain, après la messe? Tu pourrais choisir les tissus dans la journée, uniquement la couleur qu'il te plaira. Plusieurs, même. Quand voudrais-tu que nous donnions le bal?

Elle avait murmuré ses mots d'un ton très doux, pour ne pas l'en effrayer. Timide Casey, si timide et réservée. Pourtant, son sourire était un tel trésor. Elle était un morceau de soleil.

Les yeux de Milady se plissèrent de ravissement tendre, et ses bras, tout naturellement, s'ouvrirent plus grand pour presser l'enfant contre son coeur. Le jeu cessait, sans pour autant disparaître; la page était tournée avec douceur. Le murmure était cueilli dans l'air, avec une joie grandissante, à mesure que le Chaton osait s'ouvrir d'avantage, sortir de son panier. Que son petit filet de voix devenait un ruisseau qui osait s'écouler sans se heurter, se cacher de lui même. La main vint à l'épaule, pour l'assurer, la soutenir; le sourire à ses lèvres se refusait d'être trop grand pour ne pas effrayer le flot, pour ne pas que le miracle ne se brise et que le Chaton ne retourne s'enfermer dans son petit monde, bien à l'abri.

Elle fit quelques pas avec elle, ou alors peut être la berçait-elle juste contre son épaule de cette façon. Puisque Casey était un peu grande pour être portée. C'était une bonne concession. Ambrosa acquiesça pour Cannelle, pour elle-même également. Oui, elle l'avait enlevée à un destin tout aussi triste et fade que tout tracé, évident, qui n'aurait intéressé personne et peut être pas même celui qui le vivait. Elle lui souffla, tout bas, à l'oreille.

Tout ceci, tu l'as amplement mérité, Casey, ma Cannelle. N'en doute jamais; ne te contente pas de ta charge. Je te veux heureuse, et ce que tu deviendras, tu le choisiras, toi.

Un petit rire filtra, amène et chargé d'une affection amène et dépourvue de la moindre épine.

Viens, si tu le veux, retournons à ta chambre, tu dois être épuisée d'avoir tant fait.

Ses mains se pressèrent aux siennes, libérant son épaule sans la priver de soutien. Le coeur de la Veuve était plein, serré de l'or du bonheur et du sucre de l'émerveillement. Comme sa petite Casey grandissait vite! Comme une plante laissée sans eau, dans un vase trop petit, trop étroit pour ce qu'elle était vraiment. Elle ne lui ferait pas la remarque, pas tout de suite. Ce serait maladroit, et ce serait dire à Cannelle que ses hésitations étaient malvenues. C'était faux. elles étaient un passage. Et qu'il était bon pour une mère que de voir son enfant s'épanouir.
Ce fut sans doute pour cela qu'elle murmura, alors qu'elle la guidait aux portes, vers les couloirs, vers son petit refuge rien qu'au Chaton.

Je t'aime, mon enfant, sais-tu.