How much ? [Shany Kiederman / Lenis]

James abattit ses cartes avec lassitudes.

La jeune fille au maquillage outrancier, haussa les sourcils et eu un grand sourire, en dévoilant son jeu :

-Encore perdu joli cœur.

Avec appétit, elle s'empara de la belle somme que venait de perdre le Dandy, et laissa tomber les pièces dans son escarcelle.

-Sorry my dear, (elle lui adressa un sourire canaille).

Pensif, le Dandy ne pipa mot. Attrapant son verre, il le porta à ses lèvres, mais seul une goutte vint lui humidifier le gosier. Il le reposa en soupirant.

-On monte dans ma chambre, (interrogea la fille de petite vertu ?) Vu ce que tu viens de me laisser, je peux bien t'offrir une petite heure de réconfort.

James, tapa sa petite pipe d'ivoire sur la table pour en extraire les cendres. Diable, il n'avait même plus d'opium.

-James ?

Sans un mot le Dandy tira sa chaise et se leva. Il ne se sentait pas bien. Il était au bord de l'asphyxie. L'atmosphère enfumée, le brouhaha, l'alcool il n'en pouvait plus. Un instant sa vision se voila et il trébucha. Il se rattrapa au bord de la table.
La courtisane accourut à son secours et lui attrapa amoureusement le bras.

-Allez, ne fait pas le difficile, promis pour toi c'est gratuit ce soir (minauda la demoiselle).
-Lâchez moi, (supplia James).

Se refusant à écouter, la jeune femme raffermit sa prise sur le bras du dandy.

-Lâche moi ! (aboya le Dandy)

* * *
* * *

Le Dandy claqua la porte de la taverne. Un nouvel étourdissement le pris. Il s'appuya à la façade crasseuse.
Devant lui, a quelques mètres, la Tamise roulait ses flots boueux le long des quais.
Il inspira un grand coup. L'air londonien n'était pas le plus pur, mais il valait toujours mieux que l'atmosphère infernal qui régnait dans les bouges du port.

Ah, douleurs d'une morne existence. Tristesse d'une vie que la grisaille de l'ennui envahie.
C'était un soir comme les autres, le début d'une longue nuit de plaisirs fades et débauchés qui ne laisseraient au réveil qu'un arrière goût aussi amer que le mauvais alcool.

Glissant sa main dans sa redingote, il en sortit son petit pistolet d'argent. Empoignant la crosse dans une main, et sa canne dans l'autre il commença à déambuler au hasard sur les quais glissants.

Il s'arrêta au bord de l'eau. Une brume fantomatique, une eau noire, la nuit sans lune. Une soirée idéale pour en finir...Il lui suffisait de presser sur la gâchette pour enfin plonger dans l'éternité et l'oubli.
Déjà, il croyait entendre le clapotis des rames de Caron. Le noir batelier venait le chercher pour le mener en enfer, là où il devrait expier ses fautes.
Il posa son arme contre sa tempe...

* * *
* * *

Un quai comme tant d'autres, un fantôme semblait errer, presque hagard. Un jeune Dandy au foulard rouge, marchait lentement, sa canne frappant irrégulièrement le sol.

Il pleurait. Il avait honte. Il était lâche.

James n'avait pas osé tirer. Au dernier moment il s'était ravisé et avait rangé son pistolet. Pourquoi ce brusque recul ? Lui même ne le savait pas, et ne se le pardonnerait pas.

Autour de lui la brume moqueuse soufflait son mépris, pour celui qui veut, mais n'ose.

Oublier, il avait besoin d'oublier. Mais même les brumes oniriques de l'opium lui paraissaient bien faibles à apaiser ses tourments.

Il connaissait cette sensation qui lui oppressait la poitrine. Il avait besoin d'amour. Il lui fallait s'épancher et s'épuiser. Tout son être aspirait au lourd sommeil qui succédait aux étreintes.
Après tout il était sur le port. Après tout sa bourse n'était pas totalement vide. Et tout le monde savait que l'amour sur les quais se négocie pour quelques pièces...

Il avançait machinalement. Tant de fois, il avait déambulé sur ces pavés glissants dans sa recherche d'oubli. Il aurait pu s'y rendre les yeux fermés. Il connaissait tout les recoins et tout les porches où se terraient de tristes créatures qui ne demandaient qu'à partager un peu de son mal et un peu de sa douleur.

La brume se dissipa. Là, a côté d'un réverbère à la lumière tremblotante elle attendait, son visage masqué par les ombres. Pourquoi elle ? Pourquoi une autre ? Peu lui importait.

Les mots magiques s'échappèrent de ses lèvres mi-closes :

-How much ?

Assise sur les quelques marches crasseuses, vêtue de cette éternelle robe sans réelle forme, blanche, avec quelques broderies d'un rouge passé. On croirait qu'elle est en chemise de nuit. Son papa est à l'intérieur. Et elle déteste déjà le monsieur avec qui il est venu discuter. Il sent tellement mauvais, il sent la mer.

Elle en frissonne sur les marches qui commencent à l'engluer de l'humidité de la nuit, et ses petites mains se resserrent sur le châle qu'elle a sur les épaules. Trop grand, c'est madame Emi qui lui a donné. Elle a l'air d'une petite fille qui vient de faire un cauchemar et attend devant la chambre de ses parents qu'ils veuillent bien lui ouvrir.

Son papa l'a autorisée à sortir, il lui a fait promettre de ne pas s'éloigner, et de rester bien tranquille sur le perron. Elle a promis, il avait l'air inquiet. Elle, sa maman, elle n'était jamais inquiète pour elle. Elle la laissait faire toujours ce qu'elle voulait, mais pas pour lui faire plaisir, juste parce qu'elle s'en fichait.

Quand la porte claque, plus loin, elle lève les yeux, cachée juste à la lisière du rond de lumière sale projeté par le réverbère. Et la dame appuyée tout contre lui a à peine lancé un regard morne quand elle est sortie et s'est assise.
Et la petite fille aux cheveux si noirs, aux yeux bleus, bleu glacier en cet instant, suit du regard les déambulations de cet homme. Elle a déjà vu le désespoir, bien avant lui, même si elle ne le comprend pas bien, elle le ressent si fort. Et pourtant, ça ne fait naître aucune émotion dans sa petite poitrine trop maigre.

Elle se demande, avec une distance effrayante pour qui l'aurait remarquée, s'il allait mourir ce soir. Et soudain, une envie fuse, irrésistible, l'envie de le dessiner, mort ou vivant, ça n'a pas d'importance, mais ce désespoir est si intense, si beau à la fois, il faut le dessiner, absolument.

Elle prend son cahier, tout neuf, celui que son papa lui a donné le jour même, et la pochette de tout petits crayons qu'il lui a dit de toujours emmener avec elle. Une si bonne idée, comme ça, jamais elle ne manquait une envie de dessiner, jamais elle ne laissait ce besoin insatisfait.

Et elle commence à dessiner, des traits qu'elle n'a pourtant jamais vus clairement, elle dessine la honte, la lâcheté, le désespoir, au bout de son crayon, ces choses si sombres, qui dévorent les âmes, comme la mer.

Absorbée, elle en devient oublieuse des instructions données par son père, elle se décale pour se mettre dans le petit coin de lumière qui lui permet de mieux voir ce qu'elle fait. Quand cet homme s'approche, elle ne réalise pas qu'elle est en plein dans son champ de vision, derrière cette femme terne. Petite fille qui dessine sagement, , qui semble complètement décalée en ces lieux, et pourtant si à sa place à parer une feuille des couleurs sombres.

[Je me permets de venir puisqu'aucun personnage n'a été spécifié pour ce topic, mais si ça pose problème, aucun souci, Lenis disparaitra ]