Old, ugly, delicious [Harlé]

**Neige** Lun 15 Juin - 6:31

Le vent pourtant printanier s'était chargé de relents de fer qui le rendaient menaçant. Les cieux pourtant cléments d'une journée presque tiède s'étaient teintés de sang, alors que le jour était assassiné vers l'Ouest. Les rues, jusqu'à présent animées, s'étaient vidées, et s'étendaient, inertes, s'offrant aux pas. Une ombre noire y progressait, en avance sur ses compagnes du crépuscule qui s'esquissait. La silhouette, élancée, remarquablement étirée -Comme une ombre debout, ce qu'elle était- s'arrêta devant une autre, comme en révérence.

Une ombre massive, imposante, qui était l'origine de cette ambiance. Une forme longue, trop haute, trop stable. Une forme presque simple, presque monochrome, une tâche sur le tableau, quelque chose qui, malgré tout ce qui pouvait l'entourer, ressortait. Et le marcheur en était, quelque part, la réplique miniature et mouvante.

En ce début de soirée, le Serpent cherchait une réponse. Il ne l'avait pas trouvée en lui, même s'il était certain qu'il ne savait chercher en lui même, qu'il ne savait pas même lire, ou voir, en lui même. Qu'il était opaque à ses propres yeux, ou plutôt tout à fait transparent, et qu'il ne savait se caractériser lui-même. Alors, s'il ne pouvait chercher de réponses en lui à ses propres détours, il se devait de projeter ces questions au Monde, et de les chercher dans ces larges entrailles. Son attirance particulière envers la pierre et l'architecture l'avait conduit, avec la force de l'évidence, à chercher le bâtiment qui lui ressemblait le plus en Londres. Il avait posé la question alors, à Mère tout d'abord, à un Frère de hasard ensuite, à un passant, puis à un autre. Mère avait sourit, et l'avait délicatement poussé à chercher encore davantage. Le Frère n'avait rien répondu, arguant qu'il connaissait encore mal la cité. Les deux passants avaient bredouillé sensiblement la même chose.

Ainsi, il ressemblait à ça. Ainsi, c'était ce à quoi son apparence, ce qu'il laissait échapper, lui, faisait songer. Il s'était vêtu de façon discrète, avait pensé à prendre un vêtement qui cachait une bonne partie de sa chevelure, de son visage. Mais même avec ça, ils avaient montré de la terreur. Année après année, il le remarquait. Les étrangers allaient parfois même jusqu'à pleurer. Les siens l'évitaient. Et il ne savait pas pourquoi.

Il chercha ce qui pouvait figurer les yeux de la Dame Noire. Et s'interrogea sur ce qu'il pouvait bien contenir, lui, pour être semblable à ce qu'on disait sceller ce qu'il y avait de plus vil en Londres. Mais, encore une fois, il ne sut se voir lui même, et la question restait à flotter. Il se tourna alors vers le Frère à qui il avait demandé de venir avec lui. Un Frère qu'il savait ne pas trembler, l'un des derniers. Qu'il savait analytique. Qu'il savait se prêter à ce genre de jeu sans s'en inquiéter outre mesure.

Ai-je une figure de brique noire, Harlé?

La question était tout à fait sincère, et dénuée de naïveté. C'était bien ce qui la rendait si pesante, quand bien même ni sa voix, ni son ton, ni son humeur n'avaient variés.

**Harlé** Mar 16 Juin - 21:58

Douce, douce odeur de fin du monde... Tendre parfum de la nuit qui rampe lentement aux murs des ruelles, léchant le ciel de Londres de sa langue imprégnée d'encre, l'obscurité suintant aux carreaux sales des maisons. Fragrance de décadence qu'il flaire à petites aspirations de connaisseur. Le crépuscule... le moment qu'il préfère entre tous. Ce moment où la lumière et l'ombre s'accouplent sur le pavé luisant, où les formes se mêlent et se fondent en un brouillard confus d'images et d'impressions. Ce moment où les masques de la journée s'effritent pour laisser deviner le véritable visage des gens. Depuis ce gentleman dont l'ombre se découpe sur le mur comme un fantastique et monstrueux papillon de nuit géant, jusqu'à cette catin au coin de la rue, adipeuse et blafarde, qui prend alors des allures de madone de marbre...

Il a accepté d'accompagner Neige, sans poser de questions. De toutes façons, il avait l'intention de sortir. Comme tous les soirs, depuis leur arrivée. Il aime Londres. C'est un terrain de jeu toujours renouvelé. Toujours différent. Toujours à la frontière de la dépravation et du puritanisme. Une pelote de laine colorée et fascinante, dans laquelle le Chat aime à se mêler et à s'emmêler. Il ne manquerait plus qu'un soleil un peu plus présent, sous lequel s'étendre pour offrir son pelage à sa caresse, pour que cette ville devienne définitivement un endroit unique à son coeur.

Il suit le Serpent, tâche d'ocre et de noir qui se fond dans le décor, fait corps avec lui. Un chien aboie sur son passage derrière les grilles de fer forgé. Tchhhh... sale bête. Un sifflement rageur et le jeune dogue retourne se coucher dans sa niche, oreilles plaquées en arrière. Qu'il lui retombe sous la patte celui-là, et il lui fera ravaler sa grosse langue baveuse bien au fond de sa gueule puante. Il déteste les chiens, et ils le lui rendent bien, ces animaux vulgaires, grossiers et répugnants. Mais il n'est pas temps pour ça. Ce soir, il suit le Serpent.

Neige, il est... spécial. Comment dire ? Il y a quelque chose chez lui qui dérange. Qui trouble. Quelque chose de... décalé. Un peu comme si la lumière ne brillait jamais sur lui dans la bonne direction. Il se détachait du reste de l'image comme un mauvais montage photographique. Comme s'il était plus flou et plus net que les autres à la fois. Sa façon d'être aussi. Il détonne, il fait peur. Pas lui, non, Harlé est trop imbu de sa personne, trop téméraire, trop inconscient, trop curieux, pour connaître une crainte aussi irrationnelle. Il n'est pas toujours à l'aise à son contact. Mais il ne le craint pas. Et ça n'a même pas de rapport avec le fait qu'il soit le bras armé de Lady Delight, même s'il le respecte beaucoup pour cela. Harlé n'a pas peur, voilà tout. Il l'intrigue plutôt. Donc quand il lui a demandé de venir, il a sauté sur l'occasion de creuser un peu le mystère qui l'entoure, et il l'a suivi jusqu'au pied de la sombre tour...

"Non."

Sa réponse tombe, abrupte et sèche. Question stupide. Harlé n'est certainement pas toujours la plus diplomate des Sucreries, mais, hey, ça n'est pas pour ça que Neige l'a invité, non ?

"Sous l'haleine des fumées, toutes les briques de Londres noircissent, Frère. Pas les vivants."

Il a failli dire "pas les hommes". Mais vu qu'il n'a aucune idée de la nature véritable de Neige, il préfère éviter de s'avancer. Il ne serait pas étonnant que la Veuve accueille à sa table des créatures bannies de l'humanité. Ça lui ressemblerait, même.

"Qu'est-ce qui te tracasse ?"

Le ton est presque plus... doux cette fois. Pas tendre, pas affectueux non plus, non, ça ne serait pas sincère de la part Harlé si c'était le cas. C'est juste le Chat qui rétracte un peu ses griffes. Qui écoute.

**Neige** Ven 19 Juin - 7:20

Il confronta à nouveau son regard vers la silhouette noire, comme s'il s'attendait à ce qu'elle réponde à son tour. A ce qu'elle s'anime, se penche, l'appelle fils, ou engeance. Les secondes se languirent en silence, alors que les flots clapotaient pour les hacher en contrebas. Rien ne vint, ni miracle, ni passant, aussi il fit face à Harlé, oubliant la Tour là derrière, puisqu'elle était figée, possédée, en son for intérieur. Gémit le vent, ou un prisonnier, dans le soir frais.

Je cherche un vrai miroir.

Un pas vers le Frère, celui qui était Chat. Ils partageaient ses mêmes yeux étranges, cette pupille qui voulait les dénoncer à la face des mortels, qui dans la nuit se changeait pour s'arrondir, leur mentant presque. Il en aurait sourit, si cela avait eu un sens pour lui de sourire à ses propres pensées.

Les miroirs mentent, tu le sais. Je cherche à me voir moi-même. Je pense que Mère le veut.

Dans sa bouche, "Mère" avait une consonance plus sacrée que Dieu dans la bouche de bien de sincères dévots. Mère était l'absolu et la vérité, Mère était le repaire, la raison et le tout. Il déploya une main vers la Dame Noire, noire comme Milady était d'or.

Certains disaient qu'elle était à mon image, alors j'ai cherché ses yeux pour m'y voir. Que vois-tu en elle?

La question n'était pas là. La question réelle aurait été: "Que vois-tu en moi", mais c'était bien trop direct pour lui. Neige ne pouvait demander à d'autres ce qu'il ne savait s'imposer à lui même. Il ne regarda pas à nouveau la façade, mais il regarda les flots d'où le brouillard naissait. La Tamise était la Reine des Brumes de ces lieux, et en d'autres lieux, d'autres temps, il savait que ce que les Marqués obtenait de ces choses étranges variaient. Que quelque part en Afrique, Thin' avait été différent. Que quelque part en Russie, il avait Senti d'autres doués comme lui qui n'avaient pas les mêmes expressions de l'Art. Lui possédait le Sang, possédait ce qui appartenait d'ordinaire aux cadavres qui avaient oublié de disparaître dans le ventre de la terre.
Quelque part, loin en lui même, Neige était quelque chose comme contrarié. Il avait été tronqué, dès la naissance, il avait été mis au monde avec une image faussée. Floue. C'était à cela qu'il avait attribué, avec le temps, de prendre ses couleurs: Il perdait sa substance, comme une peinture de mauvaise qualité à qui la Lune reprend les teintes du jour. Il appartenait à Mère, il appartenait à la Nuit. Mais ça ne répondait pas à cette question qui lui avait été jetée soudain. Qu'était-il, au juste. Comment était-il.

Il releva les yeux vers Harlé avec une acuité supplémentaire, comme s'il estimait soudain que, comme lui parvenait à disséquer autrui, d'autres pouvaient le faire, et qu'ils lui taisaient tous un secret trop indigne pour être confié, même dans la famille. Mais là, ils étaient seuls, Frères, et d'une certaine façon, de la même eau, à ce que certains jugeaient. Peut-être n'avaient-ils pas tout à fait tort. Peut-être devait-il se pencher plutôt sur ces yeux-là.

**Harlé** Mar 23 Juin - 1:02

Il s'appuya au mur, mains dans les poches de son gilet de velours, l'air détendu, décadent dandy aux cheveux fauve. Il ne recula pas quand Neige s'approcha. Se contenta de lever au ciel ces yeux aux pupilles étranges, ces yeux qui les affiliaient bien plus sûrement que tous les liens de sang du monde, et de répondre au Serpent.

"Ce n'est pas dans les pierres que tu croiseras ton reflet. Les Hommes bâtissent des murailles pour cacher leurs bas-instincts, et les contenir. Les pierres... ne sont rien. Elles n'ont d'autre valeur que celle que les vivants y attachent. Ça n'est pas un miroir. C'est... une toile sur laquelle les gens vomissent leurs vices."

N'était-il pas d'humeur lyrique, notre Chat aux gants blancs ? N'y avait-t-il pas quelque chose du décor de théâtre dans ce ciel violine chargé de nuages, dans ces bâtiments noirs qui se détachaient de la brume comme des silhouettes à l'encre de chine ? N'y avait-t-il pas quelque chose de délicieusement mensonger dans sa voix, dans les accents traînants et sensuels qui lui venaient de son allemand natal, jamais tout à fait oublié ? Et pourtant. Il disait la vérité, Harlé, la sienne en tous cas. Il n'arrivait simplement pas à résister à la tentation de jouer. De mettre en scène, de mentir, en faisant croire qu'il mentait quand il disait la vérité.

"Je ne vois rien, parce qu'il n'y a rien à voir dans l'Immobile. La structure de ces choses-là, de ces choses faites par l'Humain, leur structure est bien trop simple pour ne jamais te refléter, Neige... Comment un amas symétrique de cailloux et de mortier pourrait-il jamais t'aider à te voir ?"

Harlé se détacha du mur, s'approchant à son tour de Neige. Un pas, pas plus. Le dialogue se doit de progresser réplique par réplique. Inutile de presser l'intrigue. Serais-tu donc un mystère à tes propres yeux, Neige ? Un secret vivant ? Si opaque que nul ne pourrait le percer, le saisir dans son entier ? Harlé te scrutait à son tour, vos regards verrouillés l'un dans l'autre. Curieux l'un de l'autre.

Le Serpent l'avait toujours intrigué. Comme la plupart des Sucreries à vrai dire, la délicieuse et délicate Dame Delight avait un talent certain pour choisir des êtres hors du commun qui piquaient sa curiosité. Mais que Neige ne se comprenne pas lui même... Il acquérait un statut particulier. Une aura unique. N'était-il pas un passionnant puzzle ? Et qui résisterait à l'appel d'un puzzle aux dimensions multiples ? Pas lui en tout cas. Il voulait savoir. Quoi ? Mais tout. Tout.

"Mais si tu désires réellement un miroir, Frère... Nous chercherons ensemble. Mais pas dans le travail des Hommes. Dans celui des dieux... Nous comprendrons tes mécanismes."

Un sourire tout nouveau fleurit sur ses lèvres. Un sourire un peu dingue, qui laisse deviner ses crocs dans la lumière mourante du jour. Le sourire de quelqu'un qui a pris une décision et qui a l'intention de s'y tenir. Peu importe ce que ça pouvait coûter au reste du monde. Parce que la fin justifie les moyens, pas vrai ?

**Neige** Mer 24 Juin - 9:54

La contrariété ne passa pas. Elle se contenta de se muer en quelque chose de plus affiné, comme un dard, une épine qui agaçait ses entrailles sans toutefois provoquer douleur ou, à fortiori, tourments de l'âme. Neige serait sans doute l'un des derniers hommes à pouvoir ne serait-ce que goûter la saveur du remord, et par là sans doute, l'un des derniers hommes, tout court. Il aurait fallu qu'il puisse peser ses actes même, pour oser soupeser son essence.

Le Serpent avisa le Chat et, d'un regard qui l'englobait, accepta. Il n'était pas homme de tergiversations. Il attendait, attendait, le corps caressé par le Soleil, la Lune, le temps et la main de Mère, et lorsque venait ce moment de clarté qui agitait son être, il se levait et partait accomplir. Il avait décidé ce jour de faire confiance au Chat, et alors que le jour, lui, achevait de mourir, il ancra ce choix. Tout en l'observant jouer, en s'accommodant à ses façons, en le disséquant comme il disséquait le monde tout entier. Harlé était un acteur, un masque flottant au dessus du sol sur des pattes de velours qu'il ne cachait pas si bien, même avec visage humain. Il lui semblait plus vrai, plus lui même, avec une fourrure plutôt qu'une peau pelée qu'il se faisait fort de couvrir au plus possible. Et à ses mouvements, Neige sentait que, quelque part, il lui brûlait dans un vieil instinct de sauter sur cette barrière, d'y marcher ainsi, d'y parler comme ça. Théâtral et suave. Ca lui correspondait. Harlé était un ensemble esthétique et fonctionnel.

Il lui plut, alors.

Les pierres sont les agrégats des reliques d'âme. Ils les vomissent, souvent, oui, mais elles sont révélatrices des hommes. Elles sont les os des villes, et tout être ressemble à sa Mère.

Toutefois, les paroles eurent son agrément relatif. S'il semblait que Harlé, sans le voir, devinait comment, alors Neige suivrait et verrait, apprendrait. Le prix serait que le Chat sache le Serpent, mais le Serpent estimait avoir déjà croqué le Chat, dans l'esprit, pour l'instant. Peut être sur la toile, bientôt.
Il pivota, ouvrant le couple étrange qu'ils formaient vers le pont, vers les brumes et la Brume, vers les hommes. L'ombre lointaine de ce Ben obèse et goguenard. Le travail des dieux, soit.

Bien. Il faudrait chercher ce qui a été sculpté par les Célestes, alors.

Il guetta, au loin, si une silhouette autre venait jusqu'à eux. Quelque chose, quelque part, en lui, lui demanda d'une voix ténue s'il serait capable de fendre en deux un être humain, si son ventre contenait le savoir.
Il hocha la tête ainsi, pour lui seul, et pour sa décision.

**Harlé** Jeu 25 Juin - 20:45

Il a des instants particuliers dans le temps et l'espace. Des moments clefs où les rouages du Destin se mettent en place et s'ébranlent. Des instants où tout semble parfaitement simple. Parfaitement clair. Il n'y a plus qu'à suivre cette route qui semble avoir été dessinée pour vous. Et il n'y a plus de doutes à avoir, plus de remords ou d'hésitations. Parce que c'est ainsi que les choses devaient être. Tout est exactement à sa place. Du plus petit brin d'herbe jusqu'au nuage le plus immense. Il semblait à Harlé que c'était l'un de ces instants uniques. Ça semblait simplement... Naturel. C'était... Juste comme cela devait être, c'était le bon cours des choses.

Il fallait chercher ce qui a été sculpté par les Célestes, donc ? Un sourire de Chat du Cheshire se dessina sur ses lèvres... Il avait son idée sur la question. N'avait-il pas grandi dans un orphelinat catholique ? Ne lui avait-on pas appris que sa seule existence faisait monter les larmes aux yeux de leur Dieu unique ? La Génèse... Il la connaissait sur le bout de ses griffes.

"Dieu créa l'homme à son image, il le créa à l'image de Dieu, il créa l'homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit: Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre."

Quand il eu fini de réciter, il tourna ses yeux une nouvelle fois vers son frère aux cheveux immaculés, le regard perdu dans les Brumes. Oui. C'est ainsi qu'il devait en être. Ils sentaient leur assentiment mutuel les lier comme un pacte, invisible mais vivant. C'était un serment muet, entre le Serpent et le Chat. Deux prédateurs décidant de chasser ensemble. De mêler la fourrure à l'écaille. Le Feu à la Glace.

"Frère... Il nous sera difficile de trouver nos réponses. Le doigt des dieux ne touche presque plus personne en ce siècle, paraît-il. Il nous faudra de la patience... De la prudence. Je doute que beaucoup comprennent... Et il nous faudra d'abord comprendre les mécanismes du corps, avant de saisir ceux de l'âme."

Neige le savait déjà, sans aucun doute. Mais il devait le dire. C'était écrit. Et la réponse qu'il recevrait scellerait leur destin. Le mécanisme serait lancé, les rouages tourneraient et broieraient tout ce qui leur faisait obstacle. Et plus rien ne pourrait arrêter la machine en marche. Il était encore temps de faire demi-tout. De ne pas suivre la route tracée pour eux... Mais Harlé n'en avait pas la moindre envie.

**Neige** Jeu 2 Juil - 4:13

Chat parla, et Neige écouta, yeux plissés, esprit docile et avide. Sa soif avide trouvait là matière, et son esprit nouvelle base, fondation plus convenable pour les tremblements de son âme qui cessa en cet instant précis d'être un édifice ébranlé. Les Clés n'étaient pas encore là, mais ils avaient trouvé le chemin de la Porte. Ils étaient deux, liés par la même quête, la même recherche ancestrale et trop souvent laissée de côté par ceux qui étaient, disaient-ils, leurs congénères. Le sang répondait au sang, dans une nature plus proche et primale. Frères ils étaient, par l'essence, la recherche et la Mère. Il n'y avait plus d'autres solutions que cette évidence qui s'était offerte.
Serpent était satisfait, et ses yeux le dirent au chat, quand il se tourna à nouveau vers lui, après avoir confirmé aux Brumes sa résolution.

Ainsi nous ferons.

Et le pacte était scellé. Gravé en lettres rouges dans leurs deux âmes, sur le chemin de papier de leurs histoires. L'accomplissement; le Graal. Ils seraient alchimistes d'eux-mêmes. Aucun besoin de demander si Harlé cherchait lui aussi, s'il avait un jour partagé ses questionnements et ses troubles, puisqu'il le lui avait dit. Et même si son Frère jouait et jouait toujours, à son contraire, son opposé, il n'y avait là rien que de plus simple et vrai que cet accord de contraires. Un pas, déjà, alors qu'il avançait vers les entrailles de la cité, pour rejoindre le couvert du Manoir.

La prudence, oui, et le secret. Si ceci n'a pas encore été révélé, c'est qu'il faut taire. Les lois de leur Dieu s'opposent à nous. Serons-nous dieu quand nous saurons?

Neige se pencha un instant sur le fil coupant de ses pensées, et se dit alors que Mère était Déesse déjà, et qu'il n'y avait donc rien d'impossible à défier celui qu'on honorait en Père universel, qui pourtant négligeait les vraies Mères. C'était là chose indigne, illogisme fondateur de bien des erreurs, égarements et guerres, et il se satisfaisait d'y trouver une réponse aussi droite et imposante que le problème.
Mère serait satisfaite de voir ses enfants grandir comme ils le faisaient, et trouver leur chemin ainsi qu'elle l'avait tant souhaité. Que Mère était généreuse, pour ne pas le dénaturer en leur ayant tout offert. Il faudrait la remercier.

Bientôt, la Tour Noire fut la seule à trôner là, témoin muet des pactes odieux.

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