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"Rejoignez-moi sur le parvis, à 5 heures..."(libre)

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Message  Invité Jeu 21 Mai - 15:15

D'une démarche rapide, Isidore, vêtu d'un long manteau brun, de bottes noirs et d'une chemise de dentelle blanche, se dirigeait vers le Big Ben. Il était cinq heures du matin, le ciel était gris, et il ne croisait personne sur son chemin. Qui aurait eu l'idée de sortir à une heure pareille? Pourtant, par mesure de précaution, il avait emprunté des rues peu fréquentées, pour éviter de croiser quelqu'un qui aurait pu le reconnaître et se demander pourquoi un jeune homme issu de la noblesse se promenait dans les rues tôt le matin, sans son tuteur. Il se trouve que pour beaucoup de gens, Isidore n'était encore qu'un gosse. Ce qui n'était pas totalement faux. Mais malgré le temps gris, le froid matinal et le silence pesant, Isidore ne regrettait pas. Quelqu'un lui avait donné rendez-vous. Il ignorait qui, et cela le rendait frustré. Il déplia le papier qui se trouvait dans sa poche, et le lut rapidement.

Rendez-vous sur le parvis du Big Ben, demain à cinq heures du matin. J'ai à vous parler de choses importantes.


C'était tout. C'était assez inquiétant, mais il était rempli de curiosité. Il ne savait pas quand on lui avait glissé ce papier, ni qui l'avait fait. Il l'avait juste trouvé dans sa poche hier soir, quand il s'était déshabillé. C'aurait très bien pu être un traquenard, mais il se demandait qui pourrait lui vouloir du mal. Certes, il était vu comme l'étrange, le louche, le fils sans mère, mais pas comme un assassin. Il arriva enfin sur le parvis du Big Ben. Il aperçut tout de suite celui/celle qui lui avait donné rendez-vous. Vêtu d'un manteau long comme lui, il/elle se tenait dans un coin sombre. Isidore rangea le papier dans la poche de son manteau de peau, et se dirigea vers l'inconnu. C'était un homme. Il portait un chapeau qui lui dissimulait une partie du visage, et ne réagit pas quand Isidore arriva. Il devait avoir la cinquantaine. Isidore ne le connaissait pas.

-Bonjour, dit-il poliment. Il sortit le papier, et le mit sous les yeux de l'inconnu. Désolé d'être aussi brutal, mais c'est vous?

Ce n'était presque pas une question. Isidore en était presque sûr. L'inconnu se contenta d' hocher la tête, et avant qu'Isidore eut pu dire quoi que ce soit, il lâcha dans un souffle

-Si vous avez des questions, je serais là chez Milady. Soyez-là. Je pourrai éclaircir certains points qui doivent vous sembler flous. Milady. Au revoir.

Il sourit un peu, puis tourna les talons. Isidore, trop surpris pour penser à le rattraper, resta planté sous la construction. C'était mystérieux. Tant mieux. Ca ressemblait à un jeu de piste. Tant mieux. Le vent soufflait plus fort, et faisait voler ses cheveux autour de lui. Son manteau claquait dans le vent, et il se sentit frissonner. Tout était vraiment étrange. Malgré son air impassible, il se demandait ce que l'homme pouvait bien lui vouloir. Et si il se moquait de lui? Oui, mais dans quel but? C'était terriblement frustrant. Isidore était sur le point de repartir puisque ses mains délicates ne supportaient pas le froid, quand il aperçut, devant le parvis, une silhouette. Bizarre qu'il n'y ait pas que lui pour sortir par un matin froid dans une ville endormie. Poussé une fois de plus par la curiosité, il se força à rester.
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Message  Invité Dim 24 Mai - 23:15

Il avait pris quelques chemins détournés pour venir ici, il était même passé près du port, contemplant les ombres fantomatiques des navires, que des marins éméchés tentaient parfois de rejoindre à grand-peine. Vêtu de noir de pied en cap, il filait comme un fantôme.

Il aimait marcher. Errer, se promener, même là où il n’y avait rien à voir, même là où tout n’était que médiocrité et disgrâce. Le port, vierge de son incessante activité le jour, devenait un paysage plat et désertique la nuit, où seuls s’aventuraient encore les criminels, les prostituées et les rats, une vermine qui sortait de son terrier quand le soir se couvrait de noir et qui arpentait comme la mort les basses ruelles de Londres. Demetryan admirait pourtant cette ville. Londres était puritaine, elle était exotique. Elle était l’Enchanteresse, elle était la Terrible. Elle était aussi un ogre aux bouches innombrables qui avalait les siens, elle était une goule qui dévorait leurs cadavres et leurs âmes. Le sang coulait dans ses méandres comme la Tamise, qui les fendaient en deux.


Londres était amoureuse, Londres était dédaigneuse. Elle se gonflait de brume, elle voulait faire peur. Elle se transformait en porte de l’Enfer.

Demetryan ne dormait que très peu. Souvent, il restait debout devant la fenêtre de sa chambre. Il regardait les toits gris des maisons, il écoutait la respiration d’une cité en changement. Puis, quand, las d’être resté trop longtemps immobile, il s’habillait, sortait en silence puis allait se promener. Les autres le disaient inconscient.

Il traversait le West End, longeait Kensington, traversait Westminster et passait devant les belles demeures bourgeoises. Puis il s’enfonçait dans Whitechapel, Spitalfield. Il franchissait la barrière de la misère et se retrouvait parmi les damnés et les spectres. Tout ici sentait la pourriture et l’odeur de la mort. Les trottoirs aux caniveaux salis étaient irréguliers et dangereux. Le sol était battu par les pas d’une foule hétéroclite, faite d’étrangers, de vieux loups de mer, de gamins égarés, de voleurs de bas étage aux meurtriers les plus dangereux, en passant par les femmes de mauvaise vie et les mères maquerelles qui les surveillaient. Mais Demetryan aimait sentir ce vice, il était à la fois répugné et enivré des effluves écœurants qui montaient des logis, de la saleté qui couvrait comme un vernis chaque recoin de cette ville dans la ville. La fascination était malsaine, déplacée, outrancière. Parfois, il osait même s’imaginer à la place d’un de ces criminels, d’un de ces buveurs de tripots, d’un de ces navigateurs sans attaches.

Mais il revenait toujours dans son univers à lui. Il revenait couvert de l’anarchie, du despotisme éclairé de l'indigence. Il revenait penaud, aussi, d’être incapable de plonger sans retenue dans ce monde qui lui tendait les bras. Il restait aux bords de la berge, refusant de traverser.

Cette nuit encore, il s’était donc promené, plusieurs heures. Il revenait toujours avant le lever du soleil. Et comme toujours, il s’arrêtait près de Big Ben, s’enivrant de la froideur de la pierre contre son corps encore brûlant de son aventure. L’austérité de l’édifice était le point de passage vers son autre vie. Elle le relançait dans la vérité et dans la réalité.

Mais pas aujourd’hui.

Demetryan leva les yeux vers les nuages cendrés qui s’entassaient aux contours de l’imposant édifice et qui découpaient l'Horloge dans un paysage sombre. Big Ben semblait soudain presque terrifiant, comme poussé vers le haut, pris d’une irrésistible envie de grandir. Le jeune homme se sentait écrasé par la silhouette délétère et il fit quelques pas sur le parvis, pour s’en éloigner un peu. Il n’était que cinq heures.

Le soleil rouge de la veille avait annoncé la journée délavée d’aujourd’hui. Le jour pointait à peine. Demetryan boutonna son manteau noir un peu plus haut, et tira sur ses gants, y enfonçant un peu plus ses doigts. Il porta sa main à son épaule, comme il le faisait régulièrement, ayant gagné cette habitude après avoir été blessé sur une des barricades de Munich, quelques années plus tôt.

Soudain, il se tendit. Il se dissimula un peu plus dans l’ombre de Big Ben et vit un homme qui approchait, en silence, à pas lents. Demetryan ne voyait jamais personne ici, d’habitude. A cette heure-là, l’aristocratie et la bourgeoisie bien élevées préféraient dormir. L’homme éleva la voix et Demetryan, inconsciemment, tendit l’oreille. Cela dura à peine quelques minutes. Il sortit de sa cachette et s’avança.

A l’autre bout du parvis, il distinguait les ébauches timides d’une ombre. Ses sourcils se froncèrent légèrement et il s’approcha, se demandant si ce n’était pas que son imagination.

Mais le jeune garçon était bien réel. Il attendait, immobile, dans le souffle glacé. Demetryan voulut un instant partir sans être vu mais suspendit son geste. Il fit encore quelques mètres et se retrouva nez à nez avec un adolescent un peu frêle. Les sourcils de Demetryan se froncèrent ; ce visage lui disait quelque chose. Le garçon, à en juger de ses vêtements et de son allure, ne venait pas d’un milieu déshérité. Demetryan fréquentait très rarement les soirées mondaines, seulement quand il y était forcé.

Demetryan était brusque dans ses relations aux autres, et la voix un peu dure, il demanda, sans aucune délicatesse ou politesse, comme frappé d’évidence en reconnaissant le jeune homme :


« Que dirait votre tuteur s’il vous savait ici à cette heure ? »

A peine l’eut-il posée que Demetryan se rendit compte de la banalité de sa question. Ce garçon n’avait sans doute que faire de son avis. Ses yeux refusaient une nouvelle fois, comme à leur habitude, de se fixer, et continuait de voyager des pavés du parvis, jusqu’aux bancs derrière eux, mais jamais sur le jeune garçon.

« Ce n’est pas très prudent de se promener ainsi, osa-t-il continuer. Puis-je vous demander les raisons d’un tel comportement ? Cela ne ressemble pas à un jeune homme de bonne famille. »

En bon censeur immodeste, Demetryan assénait des vérités avec la régularité d’un métronome. Il en oubliait même de se présenter. Il cavalait après les mots, en mâchait quelques uns, et son léger accent bavarois les rendait plus gutturaux et traînants.
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Message  Invité Lun 25 Mai - 20:26

Il avait entendu quelque chose. D'un mouvement vif, Isidore se retourna. Un homme au long manteau noir se dirigeait vers lui. L'espace d'un instant, Isidore oublia l'inconnu pour se concentrer sur la silhouette qui se dirigeait vers lui. Une homme, trente-cinq ou quarante ans. Alors qu'il commençait à apercevoir son visage, il se dit qu'il venait juste d'apercevoir cet homme, et que celui-ci ne pouvait pas arriver de nulle part. Il devait s'être caché dans un coin où il y avait de l'ombre. Avait-il entendu la conversation? Isidore en fut un peu perturbé, puis se dit qu'il ne le connaissait sûrement pas, et que celui-ci, même s'il avait entendu, n'aurait peut-être pas saisi grand chose. C'est pourquoi, quand l'inconnu s'arrêta devant lui, il eut un petit sourire poli. Sourire qui ne disparut pas, même quand l'homme demanda ce que dirait son tuteur s'il le savait dehors. Son tuteur. Il l'avait reconnu. Isidore resta imperturbable, et détailla l'inconnu en face de lui. De longs cheveux noirs, une cicatrice...Isidore se força à retrouver dans sa mémoire quelques souvenirs qui pourraient lui venir en aide. Peine perdue. Isidore n'était pas physionomiste. Il chercha vite quelque chose à répondre. Il fallait que ce soit quelque chose de bien, de convaincant, dit d'un ton charmant pour tromper.

-Bonjour. Je vois que vous me connaissez. Ne soyez pas offensé, monsieur, mais je ne vous connais pas. Est-il possible que nous nous soyons croisés en soirée?

Isidore ou l'art de l'ellipse. C'était ce qu'il avait trouvé de mieux à répondre, et c'était plutôt fin...quand on était face à quelqu'un de 0 à 20 ans. Il doutait que l'homme n'insiste pas. Il s'efforça de le regarder, un peu énervé de ne pas le reconnaître. Et aussi de savoir qu'il le connaissait. Si il répétait tout ce qu'il avait surpris à son tuteur, Isidore serait en mauvaise position. Il n'avait que seize ans, et à cet âge, les adultes se chargeaient encore de notre éducation. Que c'était ennuyeux.


-En effet, ce n'est guère prudent. Mais il se trouve que je suis pris d'insomnies de plus en plus fréquentes, et c'était un caprice de ma part d'aller me promener.

Une réponse en forme d'excuse, polie, charmante. Pourvu qu'il avale ça. Isidore trouvait l'homme un peu trop curieux, voir autoritaire, et il lui aurait volontiers rabattu le caquet. Mais il devait se comporter décemment, cela lui éviterait bien des ennuis.


Isidore remarqua au bout d'un moment que l'homme ne le regardait pas, et lui qui avait l'habitude de regarder les gens en face trouvait ça exaspérant. Il espérait vraiment qu'il n'aille rien dire à son tuteur, et qu'on n'apprenne pas que le garçon louche faisait des choses louches.


-Puis-je vous demander votre nom?

C'était déjà un début.


[Ce n'est pas trop court?]
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Message  Invité Mar 26 Mai - 19:10

Demetryan détestait les adolescents et les jeunes adultes. Il les mettait tous dans le même sac et ne pouvait souffrir leur vue ou leur présence. Ils l’incommodaient par leur manière de se croire immortels, de se croire supérieurs ; par leur façon de se comporter et prendre tous les droits. A Munich, il avait parfois donné des cours à de jeunes garçons qui lui avaient rendu la vie impossible, à tout exiger de lui comme si tout leur était dû. Les adolescents avaient perdu leur innocence et savaient désormais manier l’ironie, ils devenaient plus subtiles et plus fourbes. Ils étaient capable de détourner la réalité, sciemment, dans une optique de bien et de mal, au contraire des enfants, et Demetryan ne pouvait le supporter. Emprisonné dans sa vision étriquée et partiale du monde, il refusait d’admettre d’autres concepts, d’autres solutions, et jugeait, décrétait des culpabilités, réelles ou imaginaires.

Crispé par l’attitude du jeune garçon, Demetryan croisa les bras, ses doigts se pliant et se repliant nerveusement sur les manches de son manteau. La situation virait au surréalisme ; il était à peine cinq heures et quelques du matin, sous le clocher de Big Ben, et l’Horloge paraissait presque les regarder d’un œil circonspect. Ils se dressaient tous les deux, là, sur le parvis, et se connaissaient à peine.

Il y eut un silence, et Demetryan daigna enfin se présenter :


« Je m’appelle Demetryan von Bethmann Hollweg. Je fréquente peu les soirées mais il n’y a que là-bas que nous aurions pu nous rencontrer. »

Où donc, après tout, auraient-ils eu l’occasion de se croiser ? Bien que Demetryan ait à plusieurs reprises discuté avec le tuteur de l’adolescent, qu’il l’ait entraperçu lui-aussi, qu’on lui en ait parlé, il ne parvenait pas à se souvenir de son nom. Il préféra s’en passer, et poursuivit :

« Des insomnies ? C’est très fâcheux. Monsieur Walkfield s’en inquiéterait sûrement, s’il le savait. Vous devriez lui en parler. Imaginez son trouble s’il apprenait que vous errez seul dans les rues de Londres, si tard dans la nuit. Un accident, une mauvaise rencontre, sont vite arrivés. »

Assez fier de son attaque plutôt basse, Demetryan laissait planer le doute sur ses intentions futures. Il se moquait bien de monsieur Walkfield et n’avait aucunement l’intention d’aller le trouver pour lui poser la question. Il essayait simplement d’obtenir la vérité. Demetryan ne croyait pas en ces prétendus troubles du sommeil. Déformation professionnelle ou simple quête de la connaissance, Demetryan refusait de rester dans l’ignorance ; il voulait toujours comprendre.

« Il est pourtant assez étrange, et finalement, plutôt opportun, que vos terribles insomnies vous permettent de contenter vos rendez-vous nocturnes. »

Il fut une pause dans son discours moralisateur. Quelle ironie. Il errait lui aussi dans la nuit, dans les rues ; lui aussi, était là, après tout, dans le froid. Mais par pur esprit de contradiction et volonté de nuisance, il continuait à faire la morale à ce garçon qu’il ne connaissait qu’à peine – il ne se souvenait pas même de son nom, et ce même adolescent se moquait probablement des paroles d’un homme qui n’était rien pour lui. Mais Demetryan avait un petit pouvoir sur lui, un pouvoir conjoncturel : il l’avait surpris en une situation bien embarrassante pour quelqu’un comme lui qui devait tenir rang et engagement auprès de la bonne société.

Puis, soudain, l’identité du garçon lui revint. Son nom éclatait dans sa mémoire, entouré de la cohorte de rumeurs qui lui étaient associées. Demetryan eut une ébauche de sourire, à peine visible, et il dit :


« Devrais-je donc accorder quelque crédit à toutes ces médisances qui courent à votre sujet ? Cela serait fortement dommageable. De plus, je vous le répète, vous avez pris un grand risque en venant seul ici, pour rencontrer cet homme dont vous ne saviez rien et qui aurait pu tout aussi bien être un criminel. Mais pour être honnête avec vous, ce que des commères ou des bonnes femmes en manque d’aventures peuvent raconter à votre sujet ne m’intéresse guère, même si les rumeurs ont toujours, dans une certaine mesure, un fond de vérité. Je souhaite simplement connaître la réelle raison de votre venue ici, car, vous l’aurez compris, je ne crois pas à vos insomnies. Vous n’avez rien à y perdre, soyez-en sûr. »

Demetryan consentit enfin à poser ses yeux bleus sur le jeune homme.
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Message  Invité Mer 27 Mai - 15:02

Il était nerveux. Ou agacé. Isidore remarqua ses doigts sur la manche de son manteau. Il n'était pas le seul à l'être. Isidore était lui aussi plutôt agacé par l'attitude hautaine et faussement protectrice de Demetryan von Bethmann Hollweg. Un nom qui lui rappelait vaguement quelque chose. Il devait sûrement avoir raison, et ils devaient sûrement s'être croisés lors d'une soirée. Si Isidore ne lui avait pas parlé, Demetryan semblait par contre bien connaître le tuteur du jeune homme. "Mr Walkfield s'en inquiéterait sûrement....". Voyez-vous ça. Toujours un sourire poli au lèvres, Isidore écoutait. Contrôler ses émotions. Il savait le faire. Pourtant, parfois, il aurait été bienvenu de pouvoir s'énerver vraiment, et facultativement, donner un coup de poing en pleine face à certaines personnes trop curieuses. Même si cette idée lui effleura l'esprit, il la repoussa bien vite car 1) il était un jeune homme tout ce qu'il y avait de plus correct, 2) l'homme ne se laisserait sûrement pas faire et 3)il était bien trop fin pour engager les hostilités de cette façon. Demetryan von Bethmann Hollweg avait compris. Il ne croyait pas à ses insomnies, et avait compris que ce n'était pas un hasard si Isidore flânait dans les rues à cette heure. Mais son discours était tellement insipide...c'était moralisateur, et c'était voulu. Presque ironique. On considérait vraiment Isidore comme un gamin. Il ne supportait pas ça, et en même temps, s'en trouvait étrangement satisfait. Comme ça, il avait des privilèges, des droits à l'erreur que l'on n'accordait pas aux adultes. C'était une place de choix que d'être le fils adolescent d'un homme riche et connu dans la ville. Sauf maintenant.


« Il est pourtant assez étrange, et finalement, plutôt opportun, que vos terribles insomnies vous permettent de contenter vos rendez-vous nocturnes. »


Sourire d'Isidore. Malin, cet aristo aux cheveux noirs. Sans répondre, il écouta la longue tirade de l'homme. Il avouait lui-même ne pas croire à ses insomnies. Des deux, Isidore n'était sûrement pas le plus impertinent. Il eut envie de lui répondre par une remarque bien envoyée, insolente et subtile. Mais il ne fallait pas entrer dans son jeu. Isidore ne voulait pas jouer à celui qui serait le plus fin dans ses arguments.


-Je vois que vous tromper plus longtemps serait une erreur. L'idée de sous-estimer votre perspicacité ne m'a jamais traversé bien sûr, mais il faut avouer que cette rencontre fut une surprise pour moi aussi.

Isidore laissa échapper un petit rire sucré, puis, geste tout à fait frivole, replaça une mèche tombée devant ses yeux.


-Depuis quelques temps, il semblerait que des personnes mal intentionnées veuillent s'en prendre à certaines gens de ma connaissance. Le rendez-vous de ce soir était lié à cela, et c'est pourquoi je ne voulais pas vous ennuyer avec des histoires louches et vagues.

Il soupira, ce qui eut pour effet de faire apparaître un rond de buée. Il remarqua que l'homme le regardait. De jolis yeux bleus. Isidore planta ses yeux noirs aux nuances vertes dans les siens, comme en signe de défi.
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Message  Invité Sam 30 Mai - 16:30

Il soutint ce regard sombre quelques minutes, puis reprit son habitude. Ses yeux reprirent leur petite route, se posant sur tout et n’importe quoi, du moment qu’il ne s’agissait pas de son interlocuteur.

Demetryan avait manqué de s’étouffer en écoutant le jeune homme, qui lui avait enfin avoué la vérité. Son inconscience l’avait consterné. Ce qui l’avait poussé à agir ainsi était peut-être un peu plus valable, aux yeux de Demetryan, mais cela n’enlevait rien au danger qu’Isidore avait pris, en s’aventurant seul ainsi la nuit. Demetryan décroisa enfin les bras, et fronça un peu les sourcils. Pouvait-il seulement faire confiance à ce garçon qu’il ne connaissait pas. Les rumeurs à son sujet lui restaient dans un coin de la tête. Mais quel intérêt aurait-il à lui mentir ? Il n’en voyait aucun et Demetryan décida qu’il serait de bon de le croire.

Il se mordilla la lèvre une seconde, puis lâcha :


« Je comprends mieux. Cependant, votre attitude reste risquée. Ne serait-il pas plus simple d’en parler avec votre tuteur ou d’aller trouver la police, plutôt que de vouloir jouer les justiciers ? Loin de moi l’idée de vous manquer de respect, mais j’émets quelques doutes sur vos capacités à vous défendre, si jamais une personne mal attentionnée vous attaquait. »

Demetryan ne pouvait s’empêcher de lui faire la morale. Son envie de le remettre un tant soit peu à sa place le titillait, et s’il tentait de la réfréner depuis quelques instants, avec plus ou moins de succès, il n’arrivait pas à retenir certaines phrases ou se départir d’une certaine attitude. Son caractère était fait ainsi. Dans sa volonté d’être meilleur que le reste du monde, il restait un homme comme les autres, avec ses défauts et ses jalousies.
Il lâcha un nouveau soupir et poursuivit :


« Connaissez-vous le nom de cet homme ? Sa profession ? Etait-il un simple messager, ou bien était-celui qui vous a donné rendez-vous ? Je vous prie de m’excuser pour ces questions, ponctua-t-il, sans en penser un mot, mais travaillant moi-même dans le domaine de la justice, je m’y vois obligé. Tout ce qui pourrait vous revenir à l’esprit est important. Tout d’abord, quand avez-vous reçu cette missive ? »

La voix s’était faite moins accusatrice et plus professionnelle. Il lui semblait presque interroger un des clients qui venaient le trouver pour qu’ils les tirent d’un mauvais pas. Il n’était pourtant pas dans son cabinet, mais au beau milieu du parvis de Big Ben, avec un jeune garçon qu’il espérait bien trop jeune pour avoir des ennuis avec la justice. Demetryan passa sa langue sur ses lèvres sèches. Le jour se levait, et bientôt, une foule grouillante allait envahir les rues. Déjà, il apercevait quelques silhouettes qui courraient pour rejoindre leur travail. Il n’avait sûrement plus que quelques instants devant lui.
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Message  Invité Lun 1 Juin - 17:45

Isidore se demandait si Demetryan le croyait. Il le vit décroiser les bras, froncer les sourcils, et se mordre la lèvre. Avec toujours ces paroles aimables et protectrices, et pourtant qui faisaient mouches. Isidore se demandait si son intérêt pour sa sécurité était feint, ou si l'homme pouvait s'inquiéter vraiment.

-Je vous remercie de vous soucier de moi ainsi. Vous me prenez sûrement pour un inconscient, et vous avez raison. C'était une attitude puérile de ma part de vouloir démêler cette affaire tout seul.

Tu m'en diras tant. Si Isidore se montrait si charmant et s'il approuvait tout ce que disait l'homme, c'était pour mieux pouvoir continuer. S'il recevait d'autres papiers de ce genre, il irait aux rendez-vous, coûte que coûte. Ca lui plaisait trop, et même s'il savait que c'était peut-être dangereux, il ne pouvait s'en empêcher. Puis, Demetryan se mit à parler d'une voix moins moralisatrice. Il demandait à Isidore de lui dire tout ce qu'il savait. Celui-ci fut bien tenté un moment de lui dire toute la vérité, à savoir qu'il ne savait vraiment rien. Mais l'homme le trouverait certainement encore plus enfant de n'avoir rien remarqué, et ce serait tellement amusant d'inventer. Alors, il se mit, pour faire plus vrai, à réfléchir tout haut.

-Hum...à part mon tuteur, je ne vois pas qui aurait pu m'approcher...enfin, peut-être cette femme. Une grande femme aux cheveux blancs, belle et à l'air aimable. Je l'ai bousculée par mégarde et nous avons échangé quelques mots. J'ai peut-être été aveugle, et peut-être m'aurait-elle mis un papier dans la poche? Je ne vois qu'elle, en tout cas.

Il se donnait un air concentré plutôt vraisemblable. Et puis, son histoire était basé sur du vrai: il n'avait jamais parlé à une telle femme, mais il avait entendu des rumeurs sur une dame de la noblesse qui avait cette description physique. Et cela l'avait intrigué, car elle semblait être très mystérieuse. Ses yeux cherchant à accrocher le regard de Demetryan qui vagabondaient tout le temps, il s'inclina légèrement et osa:


-Je ferai bien de rentrer. Mr Walkfield va s'inquiéter. Ravi d'avoir fait votre connaissance. A bientôt, j'espère.

Sans demander son reste, Isidore repartit par là où il était venu. Maintenant, il pouvait réfléchir tranquillement à cette histoire. Il espérait que l'étranger ne fouille pas trop dans ce qu'il avait dit, car il se rendrait peut-être compte qu'Isidore avait menti, et cela enlèverait quelques points à son statut de jeune homme respectable. Même si l'inconnu ne semblait pas homme à faire courir des médisances, il pourrait très bien en toucher un mot à son tuteur, et Isidore passerait un mauvais quart d'heure.
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