Come in my guests, and just enjoy the night. [Ouvert]

La nuit tombe enfin sur le parc. Derrière les palissades, l'agitation n'a pas faibli jusqu'à la dernière minute. Jusqu'à cet instant où, comme d'une seule volonté propre, celle de cette étrange Lady Everdinne, les panneaux de bois s'écartent, libèrent les grilles et offrent à la vue des présents un spectacle subjugant. Avec eux est retombée la fébrilité pour laisser place au délassement, aux discussions en sourdine, aux rires étouffés, ode au bien-être et à la volupté.

Envolé pour cette nuit le simple parc, certes charmant, mais bien peu remarquable.

Une immense tente bariolée de couleurs chaudes a été élevée en ses tréfonds, près de la rive sombre de la Tamise. Dont les pans sont tenus ouverts par deux éléphantesques statues de bois sombre. Trompes dressées pour s'assurer que chacun pourra entrer, ils sont imperceptiblement inclinés vers l'avant. Étonnants portiers pour faire honneur aux invités.

Des myriades de lanternes colorées ont été disséminées, comme autant de petites fées, éclairant arbres, buissons et chemins. Certaines vont même se perdre dans les massifs de rosiers pour ceux qui désireraient passer un moment à l'écart.

Pour mener à l'entrée de la tente, des pétales de roses, rouges, blancs, roses, jaunes, un délicieux parterre à fouler.

Depuis les grilles largement ouvertes, on distingue l'écho d'une musique languissante, parfaitement harmonieuse, qui ne sera là qu'en contrepoint aux discussions qui se tiendront. L'œil n'aperçoit que les couleurs sombres et riches des tapis qui couvrent le sol de la tente. Un parfum d'encens se faufile pour enchanter l'odorat, lourd, il est pourtant assez effacé pour ne pas être entêtant, un appel à une détente bienheureuse.

Ce décor exotique a quelque chose d'onirique, d'irréel dans la lueur grisâtre du crépuscule, amenant en cette sombre Londres un petit coin de chaleur illuminée. En cet endroit restreint, le fog lui-même semble avoir desserré sa prise le temps de cette soirée.

Et l'hôtesse de ces lieux n'a rien qui puisse affadir cette impression.
Vêtue d'une robe simple par la coupe et luxuriante par les étoffes utilisées. Nulle crinoline, elle est certainement de celles qui ne supportent pas cet encombrant attirail.
D'ambre et de bleu, la soie qui pare ses courbes est brodée de symboles orientaux dorés, chaque plus petit fil rutile, accrochant malicieusement la lumière des lanternes. Un drapé ample tombe de ses hanches jusqu'au sol, mais point trop cependant, pour ne pas risquer d'entraver ses mouvements. Sa poitrine, sa gorge, sa nuque sont enserrées d'un tissu qui dévoile ses épaules. Ses bras couverts de gants d'une finesse remarquable.
La coupe est résolument victorienne, tandis que les étoffes sont étrangères.

Son visage n'est rehaussé d'aucun maquillage. Et ses cheveux quant à eux sont ramenés en arrière, ramassés en un chignon lâche qui laisse pleuvoir quelques boucles luisantes sur son dos couvert. Tout juste piqueté d'épingles à têtes d'or ou d'argent.
Si elle tient à honorer ses invités de par sa mise, l'attention se doit d'être tournée vers eux.

Elle ne fait que leur offrir un écrin soigneusement travaillé, exquisément étranger où s'ébattre le temps d'une nuit.

Celle qui se tient là en cette soirée a tous les airs d'une créature venue autant d'ici que d'ailleurs. Superbe autant dans cette robe que dans la fougue qui se lit dans ses yeux.
Elle attend, légère nervosité dissimulée sous des dehors paisibles, que les premiers curieux osent s'approcher, que les sabots des chevaux tirant les premiers carrosses claquent sur les pavés.

Un premier arrivant. Et si elle avait été superstitieuse, elle aurait estimé qu'il était de bon augure. Un franc, un très franc sourire étire ses lèvres à voir son accoutrement.

Lord Javeed.

Mains jointes devant sa poitrine, elle incline le buste.

Namaste, Sultan d'un jour.

Puis elle se redresse, souriant encore, les yeux pétillants de bonne humeur.

Et peut-être de toujours. Grand Shah, puis-je me permettre de vous demander si vous tiendrez le rôle tout au long de la soirée? Oh je ne vous cache pas que ce serait un réel plaisir.

Le sourire s'élargit, se fait malicieux et taquin.

Peut-être même vous surprendrez-vous à accueillir certains invités comme s'il s'agissait de votre domaine. Qui sait?

A tous ceux qui osent s'approcher sans se se risquer à lui parler, elle offre un regard, un sourire d'invite. Un geste accueillant que cette inclinaison du buste. Ils sont ici chez eux en cette soirée. Et certains s'enhardissent même jusqu'à entrer dans la tente. Mais ces interruptions ne sauraient la détourner de ce premier invité.

Il n'est que cette intrigante masquée qui parvient à attirer son regard. Elle attend que ce Sultan d'un jour achève ses mots, et d'une main à peine posée sur son bras, en guise d'excuse, elle se tourne vers cette invitée de choix.

Une flamme fougueuse s'allume dans ses yeux, répercutée dans son sourire.

Ah, Lady Delight, impossible d'entretenir le moindre doute. Je ne saurais dire le plaisir qui est mien à vous voir ici ce soir.

Méprisant une fois de plus tous les usages, guidée par les impulsions qui sont les siennes, elle s'empare de cette main à peine libérée de ses jupons. Prise entre celles jointes au niveau de sa poitrine, prise dans cette inclinaison du buste.

Namaste.

Et à peine est-elle enfermée, cette main, qu'elle aura été relâchée.

A présent, elle n'a besoin que de quelques instants seule en compagnie de cette également veuve. Les rumeurs qui courent à leurs sujets respectifs sont trop proches, trop identiques malgré les dissemblances flagrantes des deux femmes. Et elle, qui n'est ici que depuis si peu de temps, déjà bien trop seule à son goût, n'a aucune intention de compter qui que ce soit parmi ses ennemis avant longtemps. Pauvre Sultan, à peine arrivé, ce sera pour être délaissé à la première occasion. Mais si peu de temps qu'il n'aurait que l'occasion de commencer à s'extasier sur les délices dissimulés en la tente qu'elle serait déjà de retour.

Puis-je avoir le privilège de vous compter parmi les premières personnes que j'aurai fait pénétrer en l'Antre de l'Orient, Lord Sultan, Lady Delight?

Curieuse inversion des politesses, à croire pour quelqu'un qui y regarderait de très près, la marque subtile de son attention pour le moment portée sur cette femme exquisément élégante.

Elle les guide alors, jusqu'aux voilages qui parent l'entrée de cette tente tentatrice. Malgré leur aspect massif, les deux statues, de par leur inclinaison pleine de respect, ne donnent aucunement une sensation d'écrasement ou de petitesse, bien au contraire, elles semblent là pour magnifier plus encore l'honneur qui leur est fait de leur permettre de laisser entre ces illustres invités, qu'ils soient issus de la noblesse ou du commun.

Mais alors que l'Antre s'apprêtait à dévoiler ses trésors, certains esprits avisés y verraient peut-être une très discrète allégorie à cette si douce caverne, unique, et que pourtant l'on trouve en chaque femme. Ces mêmes esprits y trouveraient certainement l'attachement porté par cette hôtesse d'un autre monde à la chaleur que l'on peut y trouver au respect à lui apporter, symbolisé par ces majestueux animaux pourtant inclinés. Au grand contraire de la morale si froide, si rigide, chape de plomb trop sombre posée sur cet éventail de vie.

Mais la découverte de ces délices, pourtant à portée de main, leur fût retirée temporairement par une nouvelle arrivante.

Eileen observe ces yeux de charbon, réprime une grimace à ces pensées particulièrement déplacées qu'elle peut y lire. Qui viennent comme une tache sombre, ternir le tableau qu'elle offre ici. A fausseté dans la courbette, elle répond non par la froideur, voilà qui ne ferait qu'enlaidir encore plus la scène, mais simplement par l'honnêteté.

Dame, me voilà bien ennuyée de pourtant vous voir si peu à votre aise malgré mes efforts pour apporter à tous un peu de la beauté d'un pays que je chéri.

Ses inflexions chantantes sont posées, sans douceur, mais sans réel reproche, sans hostilité. Une simple sincérité qui constate ce que tout le monde peut voir en cet instant.

Et bien que son expression ne se soit pas fermée un seul instant, comme dans l'attente d'une possible détente, dans l'attente de voir si cette jeune femme se laissera toucher par la chaleur insufflée à ce petit parc, ses deux invités remarqueront sûrement qu'elle n'a pas gratifié la nouvelle venue de cette bienvenue accueillante dont elle a fait preuve à leur égard.

«Vous vous méprenez, dame.

Le murmure est soufflé, la voix grave est si ténu et pourtant il se laisse écouter sans peine.

Aucun sourire ne vint ourler le pli grave de ses lèvres.

«Mon père m’a laissée le nom de Brooke… »

Elle soupire, pas un soupire réel, au non, ce serait d’un manque de politesse totale. C’est son âme qui soupire, mais cela ne se lit pas sur le marbre de son visage. Brooke, un nom. Rien qu’un nom, mais il dit tant. Il dit la noblesse, il dit les convenances, il dit l’avenir, il dit le passé. Il est. Il dessine son profile volontaire, il dessine son caractère, il façonne. Il est. Brooke. On nait Brooke. La mort elle-même n’arrivera pas à défaire les chaînes. Elle dira très sobrement, qu’ici gît Lynn Brooke. Et en disant cela, il dira tout. Il était, il est et sera. Brooke.

Elle observe l’audacieuse Lady Delight. Soupèse ses derniers mots. Elle plisse légèrement ses yeux, scrute le visage de la Lady de dessous ses cils comme elle aime le faire, un très court instant, avant de murmurer à son tour.

«Un jour, il sera temps que je sourie. Peut-être que demain me l’apprendra.
»

Elle ne sourira pas. Ses lèvres ne s’articuleront pas de cette parure délicate qui éclaire tout le visage. Mais les yeux qui s’ouvre un peu plus, semble eux briller plus. La lumière dansant dans les deux gouffres noirs.

«Je ne vous ferais pas l’affront de vous imposer plus longtemps ma présence. »

Parfois on se sent, comme en bordure, toujours. A observer les autres, ils vivent dans leurs monde, avec leurs place. Et elle, elle observait. Elle voyait les liens tissés. Petits et fragiles sentiments qui façonnent le monde de leurs hideux caprices. Et ils dansent tous, charmants acteurs. Voilà le spectacle qui commence, allez, dansez tous cette danse absurde qu’est la vie.

Et elle observera, elle rira de penser à tout ce qu’elle aurait pu faire subir à cette Lady, Everdinne, Eileen… Pas tant que cela, il est déjà si inconcevable de violer la sphère des ses émois, quel crime de les tordre à son goût. Les sentiments sont comme des bougies.

Elle s’incline, et avec le maintient qui sied à une Brooke, s’éloigne de son pas feutré.

Et ils danseront tous, et elle regardera. Elle pensera que c’est amusant, mais qu’au fond elle n’aime pas danser.

Comment s'empêcher de rire d'une proposition si joliment indécente, si délicieusement symbolique. Elle ne le put.

C'est à se demander quelles douceurs naîtront de cette sublime union.

Elle répond d'un sourire parfaitement sincère à ce qu'elle lit et entend de cette consoeur qui semble exprimer l'autre face d'une seule et même pièce qui les réunit. L'idée fugace que si le livre de sa vie était lu à rebours, l'on y découvrirait la vie de cette sublime Lady.

Si je vous appelle Ambrosa, nommez moi Eileen, je vous en prie. Je n'ai certainement rien fait qui me mérite le titre de Lady autrement que de naître.

Elle se garde bien de relever les dires autant que les pensées de cette femme aux yeux de charbon. Le rugissement irrité de la sauvage panthère qui sommeille en elle est soigneusement muselé.
Non, elle gâcherait elle-même cette réception en répondant à tant d'effronterie comme il se devrait. Cette Brooke rejoint donc la liste jusqu'alors vierge des londoniens à éviter.
Non qu'elle lui fasse réellement peur, même s'il est clair qu'elle possède un talent qui ressemble au sien, et qu'elle semble parfaitement capable d'en user pour contrefaire les émotions. Elle le lit aussi clairement qu'elle l'aurait entendu si cette femme l'avait dit. Avide presque, de céder à cette sensation, semble-t-il à Eileen. Le genre de personnalité qui la rebute au plus haut point. Le genre de femme qu'elle serait capable de déclarer ouvertement comme étant son ennemie.

Elle la regarde s'éloigner avec un certain soulagement. Insupportable hypocrisie qui pousse un être à renier le milieu dont il est issu et à se glorifier de sa noblesse en l'affirmant détestable, en affichant ce mépris. Mieux vaut encore subir les vanités de ceux qui sont trop fiers de leur sang. Elle n'a jamais été capable de compassion à l'endroit de ceux qui ne font que se plaindre et n'agissent en rien pour retourner une situation qui leur déplait, elle ne commencera pas aujourd'hui.

Lokesh, tes réflexions si justes et la douceur de tes attentions me manquent. Terriblement. Ses pensées pleines de triste nostalgie commencent à se déployer dans son esprit.

Non, il n'est pas temps de s'apitoyer. Elle s'ébroue. Quel dommage d'en venir à presque oublier ses invités et cette soirée pour laquelle elle s'est donné tant de mal.

Lord Sultan, Lady Muse, voici venu le moment de vous introduire en cet Antre de Délices.

Elle écarte les voiles qui masquent les joliesses offertes aux yeux, aux corps et aux oreilles de tous ses invités sans exception.
Les épais tapis superposés sont déjà foulés par quelques pieds encore timides, chaussés de bottes et d'escarpins fatigués pour la plupart.
Une longue, très longue table, drapée d'un tissu brodé d'or soutient un buffet digne d'une réception de roi, où les petites comme les grandes gens sont conviés à se servir avec de grands sourires aux dents très blanches d'hindous, femmes et hommes, drapés de soieries presque plus luxueuses que celles de leur employeuse. Ils offrent mets exotiques, d'autres plus britanniques, des boissons aussi diverses que variées.
De fines colonnes de bois sombre sculptées de volutes soutiennent la toile de la tente, et sur le pourtour de l'endroit, de petites tables basses, entourées de coussins d'un côté, des tables plus hautes flanquées de fauteuils de l'autre.

Et tout au fond, un plancher de bois a été monté, pour l'instant occupé par quelques musiciens qui déroulent une musique étrangement lascive, qui invite à savourer la chaleur tranquille de cette soirée. Un spectacle, une représentation de prévus, peut-être?

Le chiffon passait inlassablement sur la théière. Le petit bout de tissu frôlait amoureusement les courbes d'argent du bel objet.
James s'arrêta quelques instants pour contempler son œuvre. Qu'elle était belle ! Elle avait la taille si fine, un port si altier sans parler de son délicat capuchon : avait on déjà vu plus admirable couvre chef ?

Au loin, un « Dong » résonna le faisant sursauter. Se mirant une dernière fois dans l'argent étincelant le Dandy se releva, et sortit sa montre à gousset.

-Diable, voilà qu'il se fait tard.

Il traversa son petit appartement, ouvrit un tiroir et en retira un petit carton qu'il avait reçut quelques jours plus tôt :
Une bien belle carte, rédigée par une main féminine. Une invitation au voyage, à la fête, à l'oubli. Une charmante inconnue organisait une soirée dans un parc. Soirée qui aurait pour thème : Les merveilles des Indes.

« Voilà qui est plaisant et original » conclut le Dandy, en regardant les deux éléphants qui dansaient sur la carte.
Il porta le carton à son nez, et respira la lourde odeur d'épices et d'encens qui s'en dégageait.
« Oui aucun doute, voilà une Dame qui sait si prendre ».

Se tournant vers son miroir, il se mira et s'adressa un sourire énamouré.

-Bien mon Ange, qu'allons nous mettre ce soir

* * *

Il partit de chez lui au crépuscule, son éternelle canne sous le bras gauche et un paquet sous le bras droit.
Il allait être en retard, il le savait. Mais peu lui importait : Être beau, c'est être original.

Le Dandy est un véritable funambule, un équilibriste, qui doit savoir se démarquer sans choquer ; s'intégrer sans s'effacer. Et à ce jeu, James était devenu imbattable.

Pourtant ce soir, l'étrange organisatrice de la fête lui avait posé un défi.
« Merveilles de l'Inde », était un peu trop exotique à son goût. Tout les invités allaient porter des tenues plus criardes les unes que les autres, comment rester élégant lorsque l'on doit se vêtir comme un indigène ?
Il avait trouvé la solution. Il avait choisi la sobriété. Sa seule contribution à l'ambiance de la soirée était un turban immaculé, qu'il avait posé sur ses boucles blondes.

Contre son cœur, il sentait la présence rassurante de son petit pistolet. Son unique et véritable ami. Le seul être porteur de la promesse d'éternité. Il le savait, cette arme était sa porte de sortie, son échappatoire à cette morne existence..Il suffirait de presser la détente contre sa tempe, pour s'envoler loin des brumes de la morne cité.
Mais il ne tirerait pas sa révérence tout de suite. Non, son étrange hôtesse venait de titiller sa curiosité, et sans le vouloir de lui offrir un répit d'une soirée.

* * *

De la Musique, il approchait.
Devant lui se dressaient les portes d'un banal parc mais derrière c'était l'Empire, c'était l'Inde, c'était le voyage.
Une odeur entêtante d'encens lui effleura les narines.
Oui cette Lady Erverdinne avait bien fait les choses. L'argent devait couler à flot.

Il fendait la foule des invités, un petit sourire sur les lèvres. Il ne reconnaissait personne, ou ne voulait reconnaître personne et saluait un peu au hasard, d'une inclinaison du buste, d'un hochement de tête, ou d'un clin d'œil un brin canaille.

-Mademoiselle, je cherche, la Dame qui règne sur ce songe. Comment, dans la Grande Tente ? Très bien, je vous remercie.

Suivant les conseils de la servante il pénétra dans le palais de toile.

Et Oh, amusante surprise, il se retrouva dans le rôle de Paris, ne sachant à qui donner la pomme d'or. Devant lui se tenait deux femmes aussi belles que distinguées.
Laquelle venait de l'inviter ? Laquelle régnait sur cette soirée ? Il hésitait, il ne devait pas faire d'impair.

-La maitresse de maison ne porte pas de masque, lui souffla une servante, visiblement amusée par son désarroi.

Se reprenant, le Dandy, traversa la tente en direction des deux déesses. Il fit une pause pour regarder le sultan se trémousser. L'homme qui se cachait sous le costume avait un véritable talent, et une certaine audace qui plaisait au Dandy. S'exhiber ainsi voilà qui n'était pas courant pour un homme ; mais chacun sait que le charme né de l'extraordinaire.


Se décidant à ne plus faire attendre sa charmante hôtesse, il s'approcha des deux femmes. Il adressa une légère révérence à la belle masquée, avant de se tourner vers la maitresse de cérémonie et de la saluer profondément.

James s'inclina, et déposa un baiser sur la main gantée :

-Mes Hommages Madame.

Il se redressa, son regard caressant le doux visage de Lady Everdinne.

-Veuillez excuser mon retard, mais une discussion avec une(il hésita sur le terme à employer, et sur la meilleure manière de qualifier sa théière, il fit simple.) vieille amie, m'a retenu plus que je ne l'aurais voulu.

Avec adresse, il exhiba le paquet qu'il avait apporté. C'était une cage dorée, que voilait une étoffe précieuse.

-J'espère que ce bien modeste présent pourra me faire pardonner.

De ses gants blancs, il envoya voler le morceau de soie. La cage contenait un petit oiseau, qui se mit instantanément à chanter.

-Voyez Madame comme cet Oiseau cherche à honorer votre beauté de ses gazouillements.

Le dandy s'arrêta de nouveau, laissant l'oisillon régaler la Dame puis il reprit :

-Mais comme le bonheur ou la beauté, cette charmante créature est éphémère. Elle peut chanter une nuit entière, et lorsque vient le jour, son âme s'envole et son petit corps dépérit.

Ses yeux s'étaient posés sur ce danseur improvisé qui était loin d'être un amateur, et un sourire, authentique vint jouer sur ses lèvres. Il en était dans cette foule disparate au moins un qui savourait cette soirée langoureuse à sa juste valeur, voilà de quoi la combler.

Aux mots de la sulfureuse Lady, son attention est détournée.

Je ne sais si je suis capable d'éclairer plus qu'un petit parc anonyme, mais je crois que c'est déjà chose bien suffisante.

Elle esquisse un sourire à la fin de sa phrase, et plutôt que d'y répondre, et de faire remonter à la surface un sentiment bien trop tenace à son goût, elle murmure.

Pardonnez-moi un bref instant, je vous en prie, je serai de retour avant même que les derniers mots de ma phrase aient fini de résonner.

Et sans attendre de réponse, elle s'éloigne jusqu'à une tenture savamment posée, qui donne l'impression d'être un pan de la tente et dissimule en réalité le revers du décor, les coulisses, où ses employés s'activent joyeusement, abeilles industrieuses et discrètes qui seront autant qu'elle responsables de la réussite de cette réception.

Sans perdre de temps, elle revient vers cette invitée de marque, et lui tend un livre. Grand ouvrage à la couverture taillé un cuir épais, craquelé par les années. Les dorures sont quelque peu passées et ternies, mais cela ne donne à l'objet que plus de cachet.

Je l'ai emmené avec moi sans savoir à qui je l'offrirai, jusqu'à ce que j'entende parler de vous, Ambrosa.

Un sourire parfaitement sincère vient étirer ses lèvres.

Prenez soin de lui, c'est un vieil homme empli d'une sagesse trop exquise pour qu'on la remette en des mains qui ne seraient déjà expertes.

Etrange remarque, un compliment peut-être, qui prend tout son sens, toute sa dimension licencieuse, quand la première page est à peine découverte.

कामसूत्र
Kāmasūtra

Ses lèvres se font malicieuses et elle se penche pour murmurer.

J'ose placer ma confiance en vous et croire que vous ne dévoilerez pas d'où vous tenez cette splendide œuvre qui ferait pousser des hurlements stridents aux bonnes gens de Londres.

Totalement illégal, bien sûr, comme beaucoup de trésors qu'elle a refusé de laisser derrière elle. Contrevenant aussi bien aux lois royales qu'aux lois religieuses et bafouant la prude morale britannique aussi sûrement que ce livre le fait. Mais à peine a-t-elle le temps de songer à tout ceci qu'encore un invité se présente.

Ah, lorsque l'on évoque le loup, il pointe immanquablement la queue. Après la froideur d'une noblesse reniée, les atours de celle que l'on brandit bien haut.
Au baise-main, elle répond par ce salut traditionnel, mains jointes contre sa poitrine. Une inclinaison du buste, un sourire, et elle dit :

Namaste.

Lorsqu'elle se redresse, ses yeux de brume mouvante viennent se poser sur cet élégant dandy avec un amusement qui n'a rien de moqueur.

Ne vous excusez pas, voyons, vous êtes là, c'est ce qui compte.

Son regard se porte sur le paquet, puis sur l'oiseau chanteur. Sans prendre encore la cage, elle en ouvre la porte d'un geste gracieux. Sa main bat l'air un bref instant, alors que la féline Lady se penche sur le chétif oisillon. Ses doigts s'insinuent dans la cage, et se tendent, pour les offrir en perchoir au petit animal. Et alors qu'elle se redresse, tire cette petite boule de plumes gazouillante de derrière les barreaux dorés et le porte jusqu'à ses yeux pour l'observer. De ses doigts libres, elle caresse très légèrement le minuscule gosier, avant de revenir à cet invité.

Quelle belle allégorie, ne trouvez-vous pas, Ambrosa?

C'est pourtant à l'homme qu'elle sourit, séduite en cet instant par l'image qui se fait jour dans son esprit.

La beauté encagée qui ne peut-être libérée de sa prison que par la mort.

Ses traits prennent une expression de plaisir si expressif qu'il pourrait en être embarrassant aux yeux de ceux qui seraient trop guindés. Elle savoure la beauté de l'idée tout autant que celle du chant.

Pensez-vous donc que la véritable beauté ne puisse se trouver qu'une fois fanée et desséchée, Lord Russel?

Le dandy était envouté.
Il écoutait son hôtesse un léger sourire sur le visage, tout en la dévorant des yeux. Il ne se lassait pas de suivre les gracieux mouvements de ses mains, ou encore de regarder le vent jouer dans sa chevelure.

Elle était provocante...
Ses façon de parler, de se vêtir, de se coiffer, et même de dévisager ses invités reflétaient une nature ardente. Elle était un soleil parmi les ombres, et n'en ressortait que mieux dans cette Londres étouffée par les conventions.

Elle était belle...
Oh, Londres ne manquait pas de jolies femmes : de la petite ouvrière noircie par la suie, à la fille de joie en passant par la douce comtesse au teint de nacre, les brumes dissimulaient de nombreux trésors. Mais parmi toutes ces beautés, celles que James préférait étaient les beautés extraordinaires. Rien ne lui plaisait plus, que le beau qui nait de l'inattendu et de la surprise.

Il faut parfois savoir choquer pour se faire remarquer. Il en avait la preuve vivante devant les yeux. Le charme de la belle Eileen ne venait pas tant de ses atours, que de son côté décalé, déplacé.
Elle avait ce petit rien, qui vous évoquait les senteurs de l'Inde, la sensualité orientale, la douceur des harems ou encore l'ivresse de l'opium.

Que dire, sinon qu'elle était une invitation au voyage. Elle ouvrait une porte sur un monde de couleurs, qui faisait cruellement défaut au pâle dandy malade d'ennui.

Il ne regrettait pas d'être venu. La fête dépassait largement toutes ses attentes. Il avait l'impression de se sentir revivre. Finalement, la vie pouvait encore réserver de délicieuses surprises...

* * *

Amusé, il regarda Lady Erverdinne caresser le petit oisillon.

Son cadeau avait su intéresser la belle. Elle avait su montrer assez de délicatesse d'esprit pour capter la poésie du geste.

La remarque qu'elle fit, l'arracha à sa contemplation, et c'est sans hésiter qu'il répondit tristement :



Il secoua doucement la tête une expression peinée sur le visage.



Il caressa l'oisillon en regardant son hôtesse dans les yeux. Il frissonna lorsque ses doigts effleurèrent ceux d'Everdinne.



Il se tut quelques secondes, et esquissa une révérence complexe. Lorsqu'il se releva, son visage avait perdu son air dramatique.

-Assez parlé de choses tristes. Nous somme là pour nous délecter de la beauté de votre réception. Peu importe si les premiers rayons de soleil nous révèlent que les palais ne sont que des décors de théâtres, et l'Inde un morne parc londonien. Puisse nos chants et nos rires dissiper les fumées qui obscurcissent notre ciel. Regardez comme ce riant sultan nous montre la voie.

Le dandy indiqua d'un signe de tête, le danseur qui venait de les rejoindre. Malheureusement, le sultan effaça bien vite les a aprioris positifs qu'avait James à son égard. Sa plaisanterie froissa le Dandy qui n'appréciait qu'un inconnu se moque de lui, surtout en présence de Dames. Le sourire de James s'effaça et il dévisagea froidement Ixidor.



C'était sec, guindé presque menaçant.

Néanmoins, diplomate, et ne désirant pas se montrer trop désagréable, il ajouta conciliant :



Peu désireux de poursuivre cette conversation, il tourna la tête pour s'intéresser à la seule personne du petit groupe qu'il ne connaissait pas encore.

Il s'inclina devant la femme au masque Vénitien :

Elle murmura pour elle seule, lorsque Lady Delight et Lord Russel engagèrent la conversation.

Femmes ou œuvres d'art, il y a pourtant tant d'endroits bien différents où on peut trouver la beauté, bien plus qu'en femmes et en œuvres d'art.

Une jeune serveuse aux cheveux noirs et à la peau caramel vient la trouver, et sans qu'elle ai besoin de se faire réellement remarquer, Eileen se tourne vers elle, se penche légèrement, pour qu'elle puisse parler à son oreille en toute tranquillité.
C'est bien peu de temps après que la Veuve Mystère s'empare de sa main, et son visage expressif ne saurait dissimuler l'instant de surprise à ce contact

Ah, Ambrosa, ç'aurait été avec grand plaisir, mais je dois prendre la poudre d'escampette pour quelques instants.

Elle se fend d'un baise-main, parodie de virilité, qui la fait sourire, les yeux pétillant d'amusement.

J'ai malheureusement quelques infimes soucis à régler, mais je vous en prie, profitez du spectacle.

Elle s'esquive sans plus attendre, suivie par la jeune serveuse, et dans un même temps, la musique prend de l'ampleur et attire l'attention de beaucoup vers le fond de la tente. Les quelques musiciens sont assis, dans un coin plus sombre, et devant eux s'étale un carré de parquet sombre, qui visiblement ne tardera pas à être investit pour offrir une représentation à tous les invités.

Eileen a disparu derrière les tentures du fond, pour tout dire, elle s'affaire à aider une gracieuse danseuse à enfiler sa tenue. Nombre de fois, elle a caressé l'idée de tenir ce rôle, cela lui aurait beaucoup plu, mais trop de raisons étaient venues lui souffler que ce n'était pas une bonne idée à mettre en pratique. Il y avait déjà bien trop de rumeurs et de racontars à son sujet, et ça ne ferait certainement qu'empirer au fil du temps, qu'aurait-on dit si on avait su qu'elle avait dansé ainsi que la jeune femme devant elle s'y préparait, et quand bien même, elle aurait opté pour un voile, il est certaines choses sur son corps qu'elle ne peut se permettre de dévoiler. Plus que de risquer des cris scandalisés et des regards offusqués, c'est le blâme pur et simple de l'Eglise, dans laquelle elle n'avait toujours pas remis les pieds qu'elle risque à montrer les tatouages qu'elle porte, quelle femme un tant soit peu respectable s'adonnerait à ce genre de pratiques, n'est-ce pas?

Elle a beau ne pas se soucier d'être réellement respectable ou non aux yeux de la morale londonienne, elle n'est pas folle, et n'ira pas jusqu'à risquer le peu de privilèges qu'elle possède d'une manière aussi directe.

Aussi, après avoir ajusté les bijoux et grelots de la jupe et du soutien-gorge de la danseuse, après lui avoir sourit et chuchoté quelques mots d'encouragement, elle réapparait dans la tente, et frappe dans ses mains.

Mes très chers invités d'une nuit. Je vous en prie, offrez à cette sublime danseuse toute l'attention qu'elle mérite, et plus encore, savourez le spectacle qu'elle vous propose.

Ceux qui se tournent dans cette direction peuvent admirer une jeune femme toute de courbes voluptueuses, la peau d'une chaude teinte café au lait, qui, au son d'une musique lascive, entame une danse d'une sensualité renversante, toute de courbes et d'arabesques, de souplesse et de grâce, une danse du ventre remarquablement interprétée. Elle se meut à mouvements sinueux, aussi fluides que de l'eau, se déhanche d'une manière qui, si elle ne se veut pas fondamentalement provocante, l'est certainement pour les bonnes gens de Londres, un spectacle d'une beauté envoûtante, en totale harmonie avec la musique qui semble faite pour enivrer très légèrement ceux qui l'écoutent, distiller en eux l'envie de beauté et de grâce propre à leur faire apprécier pleinement ce qu'ils ont sous les yeux.

Eileen rejoint ses invités prestigieux, sans détourner ni la Veuve, ni le Dandy, ni le Sultan, de la représentation qui se tient, elle même absorbée, esquissant parfois un geste, ou un autre, qui trahissent le plaisir qu'elle aurait eu à tenir le rôle de la danseuse.