[Event n°1] With wolves in sheep's clothing.

La nuit était tombée depuis peu et Amelia avait longuement hésité avant de quitter le Manoir. Après tout, elle n’était pas sortie aussi tôt depuis bien longtemps et la messe du soir avait beau être tardive, elle restait encore un peu trop tôt pour l’Oisillon. Pourtant la curiosité l’avait empêchée, pour la première fois depuis des années, de dormir une grande partie de la journée et rien que pour cela elle avait décidé d’aller assister à cette cérémonie religieuse qu’elle avait du mal à concevoir.

Heureusement, Casey, malgré la peur qu’elle semblait éprouver, avait tenu sa parole et avait accepté de l’accompagner. C’est ainsi que deux silhouettes encapuchonnées avaient parcouru en silence les rues de Londres, plongée une nouvelle fois dans la Brume protectrice qu’elle aimait tant.

Deux ombres dans la nuit naissante, l’une sure d’elle, l’autre tremblante s’avancèrent jusqu’à arriver sur la place de l’Eglise. Saint Paul Church se dressait, bloc de pierres froid les surplombant, telle une ombre menaçante pour leur tranquillité. Amelia resta interdite quelques instants, fixant la lourde porte de bois qui les séparait encore de cet univers dont elle ignorait tout ou presque. Et puis elle n’arrivait à rien Voir, comme si ces murs de pierre la rendait aveugle à tout autre chose qu’à l’instant présent, qu’à ce qui allait arriver dans ce qui ressemblait plus à un mausolée qu’à un lieu de recueillement.

Ce fut la douce pression de la main de Casey qui l’a ramena à la réalité. Prenant une grande inspiration elle poussa la porte de bois et sentit comme une bouffée d’air froid l’envahir.

Tout autour d’elle semblait respirer le calme et le recueillement. Pourtant elle se sentait oppressée. La lueur des bougies qui brûlaient continuellement sur les autels de bois, cette semi obscurité qui les entourait et surtout ces gens qui murmuraient tout autour d’elle, tous ces éléments lui faisaient ressentir une tension qu’elle ne connaissait pas, dont elle n’avait jamais encore eu l’occasion de goûter l’origine.

Elle fit quelques pas dans l’entrée de l’Eglise, le bruit de ses bottines résonnant dans le silence quasi-total qui avait marqué leur entrée. Jetant un bref regard autour d’elle, comme espérant reconnaitre un visage qu’elle aurait pu qualifier d’amical, elle se tourna dans la direction de Casey, comme pour lui demander la marcher à suivre. Elle se pencha vers elle, murmurant tout contre son oreille.

« Et bien, comment doit-on se conduire dans la maison de Dieu ? »

Une voix douce, assurée, loin de montrer la tension qu’elle pouvait ressentir. Paradoxalement, l’Oisillon ne voulait pas effrayer le doux chaton qui avait fait l’effort de l’accompagner jusque là. Surtout s’il s’avérait qu’elles ne seraient que deux ce soir.

Amelia s’était laissée entrainer en direction du banc de bois dont l’austérité et la froideur ne lui inspiraient qu’une envie très limitée. Elle se rappela un instant que l’humilité et l’absence d’apparat étaient sensés être des éléments clés de cette religion, pourtant, à voir les dorures, les nappes blanches empesées immaculées qui avaient du coûter une fortune, elle avait quelque peu de mal à vraiment comprendre leur façon d’interpréter ces mots si souvent utilisés.

L’espace d’un instant elle se concentra sur les propos de sa Sœur. Etre respectueuse, montrer son amour et sa foi pour Lui ? S’Il savait réellement tout, Il aurait tôt fait de découvrir que l’Oisillon n’avait pas sa place ici, ou bien étaient-ce les autres, ces hypocrites bien portant cachés par leur masque de bienséance qui n’étaient pas à leur place. La question méritait une réflexion plus profonde, une véritable analyse, mais pas ce soir, Amelia avait d’autres préoccupations.

Serrant un peu plus fortement la main de la douce Cannelle comme lui prouver son affection, elle la regarda dans les yeux, gouffre insondable.

« Tu sais, je ne pense guère qu’il faille parler d’instruction lorsque l’on parle d’amour. Les deux n’ont probablement rien à voir. Tu m’as l’air bien plus instruite que moi dans ce domaine alors que je suis sensée avoir étudié bien plus que toi. Tu vois, cela n’a rien à voir. C’est plutôt ce que tu… ressens qui importe actuellement. Quant à ce qu’Il sait sur moi… »

N’achevant pas sa phrase elle détacha son regard et le promena le long de la foule qui commençait à remplir la chapelle. Toutes les catégories sociales semblaient être représentées, du Lord guindé à la jeune domestique en passant par une Lady réprimant des bâillements dans grand résultat aux pauvres qui semblaient être cantonnés au fond, tout contre les murs froids. Amelia oublia un instant pourquoi elle était là visiblement envahie par une certaine curiosité. Elle n’avait guère l’habitude de voir autant de gens différents réunis en un même lieu, pour les mêmes raisons, elle trouvait cela sommes toutes intéressants.

Et tandis que ses yeux papillonnaient de l’un à l’autre, elle s’arrêta soudain, interdite.

Cette silhouette dissimulée dans l’ombre, elle l’aurait reconnue entre mille. Son cœur aurait pu manquer un battement et son visage se serait illuminé s’il s’était s’agit d’une jeune lady esseulée attendant celui qu’elle aime. Mais là point de sourire enthousiaste, point de grand signe plein de joie et d’amour. Amelia n’était pas comme ça et ne le serait certainement jamais, cette idée ne lui aurait jamais effleuré l’esprit.

Pourtant, le corps de l’Oisillon se détendit soudain instantanément tandis que ses yeux se mettaient à briller d’une étrange lueur. Sa main se détacha de celle de Cannelle sans qu’elle s’en rende compte. De sa discussion avec Mère lui revint cette étrange certitude, qu’il était là pour elle, pour la protéger, qu’il ne lui ferait pas de mal, bien au contraire.

Le Serpent était tout proche et l’Oisillon pouvait lisser tranquillement ses plumes. Elle savait qu’il veillait sur elle et une tranquille sérénité la gagnait doucement. Il était venu, sans lui demander plus d’explication, sans attendre quoi que ce soit et elle n’en demandait pas plus. Même la Brume semblait une nouvelle fois s’être retirée pour lui permettre de l’apercevoir un bref instant.

Le silence sembla cette fois-ci réellement gagner les gens de l’assistance. La cérémonie, la messe ou quelque soit son nom, allait certainement commencer. Amelia se demanda où pouvait bien être Eddie, se forçant à détacher son regard du banc où Neige était installé.

Quelques regards torves leur avaient été dardés. Oh, pas Casey, non, qui n'avait écopé que de quelques oeillades désintéressées, qui glissaient rapidement à Amelia. Comme si quelque chose, dans son allure ou dans son maintien, trahissait l'étrangère, la païenne. Celle qui n'avait pas sa place ici. Quelques murmures s'élevèrent, et les personnes alentours se décalèrent légèrement. Certains discrètement, d'autres ostensiblement. Quant au Serpent, il resta seul à son banc. Un vieillard tout autant que celui qu'il paraissait être voulu s'installer au même endroit, mais s'arrêta net, le contemplant quelques secondes avant de lui bredouiller un "Fait mauvais temps hein" et de préférer s'assoir plus loin.

Les rangées de Soeurs alignées auprès de l'Autel entonnèrent un chant délicat, aérien, de ceux qui en appelaient aux anges, et le silence se fut, hormis leurs voix qui trouvaient en l'église une acoustique délicatement ciselée. C'était poignant et doux, cotonneux, mais très éloigné de la Brume. C'était clair. C'était présent.

Aux côtés des jeunes femmes, une silhouette mince se glissa. Mince et grande, élancée, efflanquée. Se tordant ses mains noueuses, le grand Ed' était là, plus nerveux que jamais, et plus plié qu'un bossu. Ses yeux fouillaient les alentours, et il se pencha vers Casey, dont il était le plus proche. Nul autour ne sembla vouloir le remarquer, et ce fut tout juste si quelqu'un lâcha un claquement de langue désapprobateur.

Il est là. Z'auriez pas dû v'nir. Il est là.

Il secoua la tête et se frappa les temps, deux, trois fois. S'ébouriffa encore, avant de lisser sa mante large et visiblement dépoussiérée comme il l'avait pu, pour l'occasion. Le chant se tût, les gens se levèrent. Le grand Ed' de même. Le prêtre commença ses salutations, lancées de sa voix forte, portée par sa hauteur. Ses bras s'étendaient sur la foule, et il avait au visage un sourire bienveillant et paternaliste, comme un berger dominant son troupeau. Il parla de l'Amour, de la cohésion des croyants, cita un passage des Psaumes, et les chants reprirent. Certains, la plupart, des personnes assemblées prirent et ouvrirent un petit livre, chantant à leur tour, de voix moins sûres et moins jolies. Toutefois, l'ensemble des voix lancées formaient quelque chose d'admirable dans la ferveur.

Le silence retomba, ainsi que les derrières sur les bancs. Eddie se pencha de nouveau, et souffla entre ses dents.

Où est vot' garde? J'suis certain qu'il vous a vues. Vous l'voyez? Vous l'voyez?

Il hésita, se gratta l'arrière du crâne au sang, serrant les dents. Le prêtre commença son sermon.

L'troisième banc, à droite, à partir d'l'autel. Vous l'voyez, le vieux? C'est lui. C'est lui j'vous dis. Oh comme je le sais que c'est lui.

A la place décrite, il y avait bien quelqu'un. Un Lord âgé, vénérable, aux cheveux longs et raides, attachés de façon très étroite sur sa nuque, une barbiche impeccablement taillée sur son visage austère. S'il avait bien l'air un peu malade, il ne semblait en rien... Dangereux.
Sauf peut être aux yeux de l'Oisillon. Quelque chose de rouge sang, de violent, de blanc os, de sauvage se détachait de la Brume autour de lui, qui semblait plus condensée à ses côtés. Et pourtant, il priait, un léger sourire envers le crucifix. Qui l'aurait trouvé dangereux?

Tout en continuant d’ignorer les regards qui se posaient sur elle sans beaucoup de bienveillance, Amelia observa avec attention Eddie qui venait de se joindre à elles. Si Casey semblait à son aise dans cet endroit et peu encline à se méfier des gens qui priaient avec ferveur tout autour d’elles, l’Oisillon ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine tension, aussi bien à l’intérieur d’elle-même que dans son environnement proche.

Il fallait dire qu’Eddie n’aidait en rien à cette sensation étrange, surtout quand il désigna l’homme qu’elles étaient sensées découvrir ce soir. Si Casey ne lui accorda qu’un mince coup d’œil et ne sembla pas le moins du monde inquiétée, Amelia se raidit brusquement, oubliant les chants, la voix forte du prêtre qui parlait de moutons, de berger ou d’on ne sait quelle ineptie qui devait y ressembler.

Alors c’était lui, cet homme visiblement si sur, si propre sur lui. Il n’était plus tout jeune et de lui aurait pu se dégager une certaine aura de puissance, de contrôle si la Brume n’avait pas joué ainsi autour de lui. Elle plissa les yeux, comme pour mieux le regarder, oubliant un instant toute discrétion. Sans détacher son regard de lui, elle murmura de sa douce voix à peine audible, à l’intention d’Eddie.

« Nous sommes venues parce que vous l’avez demandé, rappelez-vous. Et nous ne sommes pas seules, ne vous en faites pas. J’ai… nous avons quelqu’un qui nous protégera bien mieux que vous ne pouvez l’imaginer. Et cet homme, je ne l’ai encore jamais vu. Qui est-ce ? »

Tandis qu’elle chuchotait, elle serrait ses deux mains l’une contre l’autre, presque nerveusement. Elle essayait de se concentrer sur lui, de le Voir à travers cette Brume si étrange qui l’entourait. Sans même s’en rendre compte, sa respiration se coupa quelques instants et elle ferma les yeux.

Ce qu’elle Vit n’était guère compréhensible.

Des mains, ensanglantées qui appuyaient sur le cou fin et gracile d’une jeune fille allongée sur le sol. Elle ne bougeait plus, ses cheveux sales et emmêlés coagulés par du sang qui avait coulé le long d’un de ses yeux fermé et gonflé. Sa robe était déchirée et on pouvait voir de multiples traces de contusions sur tout son corps.

Elle était méconnaissable, entre son œil gonflé, ses lèvres tuméfiées et tout ce sang dont elle était recouverte et pourtant Amelia avait l’impression de l’avoir déjà vue quelque part. Peut-être au cœur même de l’Eglise qui sait.

Et puis, elle n’arrivait à Voir rien d’autre que ces mains, comme si elle était trop près pour voir autre chose. Des mains fines, des mains d’homme, qui n’avaient guère connu les travaux manuels et qui étaient remarquablement bien soignées. Des mains de Lord vraisemblablement.

Un léger mouvement près d’elle lui fit rouvrir les yeux brusquement. Les gens s’étaient levés, Casey chantait avec ferveur et ses yeux brillaient. L’Oisillon se releva, titubant et luttant pour conserver son équilibre. Elle baissa les yeux et remarqua qu’elle s’était enfoncé les ongles dans sa chair, ses mains étaient rouges de sang. Levant de nouveau son regard, elle ne put s’empêcher de jeter un œil en direction du Lord qu’Eddie lui avait désigné. Elle voulait voir ses mains, elle devait les voir absolument.

C’est alors qu’elle croisa son regard. Il souriait et ce sourire glaça la jeune femme. Elle prit alors brusquement appui sur Casey, sans remarquer qu’elle avait laissé du sang sur sa jolie tenue, pour ne pas tomber.

Il s'agitait. Sa nervosité devenait de plus en plus visible, tout comme davantage de personnes encore se retournaient vers eux, fronçant leurs sourcils. Il avait beau être assis, il ne faisait que gigoter, cherchant à droite ou à gauche, les mains moites et torturées l'une par l'autre. Au souffle de Casey, il répondit un sifflement entre ses dents, qu'il glissa propre de son oreille. Sans doute un peu trop proche. Et un peu haut de même. Ca sonnait presque comme une menace.

Parce que tu penses vraiment qu'il me croiraient moi? Non, 'préfèreraient m'donner aux chiens aux pieds d'la Noire Dame et croire qu'en fermant les yeux très fort, il arrêtera... C'est pas les premières, non, c'est pas les premières!

Un premier "chut" fusa, sans que le prêtre n'interrompe son sermon encore. Sa voix portait au dessus d'eux, mais quelques murmures claquèrent alentours, quelques grincements de chaise, alors qu'on cherchait à s'éloigner d'eux. A l'interrogation d'Amelia, il s'était sensiblement renfermé, et ce n'est qu'avec retard qu'il marmonna, visage emprisonné de ses mains.

Quoi? Son nom... Oh le Grand Ed' va... Il commence comme l'appel, voilà. Et il finit comme ce qu'ils vont boire, dans la messe. J'peux pas le dire. Je peux pas le dire...

Il commençait à sangloter, son poing en sa bouche pour se retenir. Un grand homme si maigre qui avait tant l'air d'un enfant. Une femme poussa un petit cri en voyant le sang à la robe, une autre se plaignit ouvertement à son mari. Les murmures s'élevaient davantage, formant un tumulte; le prêtre haussa la voix et perdit son sourire, au profit d'une expression taillée à même la sévérité.
Là, auprès du Serpent, quelques personnes s'étaient retournées, et certaines parmi celles là montraient des masques de peur. Le prêtre frappa finalement l'Autel du plat de sa main, pour marquer ses dernières paroles.

Et le sacrificateur trempera son doigt dans le sang, et fera aspersion du sang sept fois, devant l’Éternel, par devant le voile du lieu saint. Et vous, qui en troublez la quiétude, sortez!

D'un geste large de la main, il désigna la porte. Ses yeux dardaient des épines sur Amelia, tant que la pauvre Casey, le pleureur qui ne les voyait pas, et l'ombre inquiétante en retrait, qui avait fait le vide autour d'elle. Tous les regardaient avec désapprobation, tous, sauf le désigné. Le Lord.
Lui, souriait, tranquille.

Amelia n’avait prêté aucune attention aux propos du prêtre et encore moins au cri de la femme qui avait retenti au sein de la maison de Dieu. Elle était restée figée sur place, figée dans sa Vision qui restait présente, comme un voile recouvrant tout ce qui pouvait l’entourer. Elle était restée concentrée sur ces mains qu’elle voulait retrouver à tout prix. Elle devait les retrouver si elle voulait que cette image disparaisse de son esprit.

Elle se laissa guider par Casey, sans même s’en rendre compte, se concentrant uniquement sur le fait de tenir sur ses jambes sans fléchir. Si elle avait été consciente des regards posés sur elle, elle n’aurait pu s’empêcher de songer Mère, à leur discussion sur le fait que les autres, les inconnus ne l’aimaient pas, surtout à cause de leur différence, de leur façon d’être. Elle aurait eu à cet instant la preuve parfaite de cette exclusion dont sa famille pouvait être victime, tout ça pour un léger écart de conduite dans un lieu régi par des règles et des dogmes inamovibles.

Mais rien de tout cela. Tout ce qu’elle ressentait en cet instant était la poigne ferme de son amie qui la guidait vers de l’air frais, vers un calme qui l’envahit en un instant. Elle prit une grande inspiration et chancela une fois de plus, s’appuyant de plus belle sur le Chaton.

Réalisant doucement ce qui venait de se passer, elle leva les yeux en direction de son amie. Son regard était sombre, ses prunelles, si bleues d’habitude, étaient presque noires et semblaient encore plus grandes qu’à l’ordinaire. Elle semblait la regarder sans la voir réellement, comme si son esprit était complètement ailleurs, comme si elle voyait d’autres choses, d’autres personnes que la douce Casey. Quand elle prit la parole, le ton emprunt de précaution de sa voix, rendue rauque par les évènements, ne fit que confirmer cette impression.

« Je… je vais bien, je crois… »

Elle cligna des yeux plusieurs fois, comme si elle redescendait sur terre tandis qu’elle continuait de fixer un point invisible loin de l’Eglise. Elle tournait le dos aux lourdes portes de bois, se détacha de l’étreinte de Casey et finit par s’appuyer contre les murs de pierre, frissonnant au contact du froid.

« Rentrer ? Je ne sais pas trop… »

Elle voulait voir le Lord, elle ne voulait pas partir comme ça. Et plus que tout, elle voulait que Neige arrive enfin, il arriverait peut-être à lui expliquer ce qui venait de se passer. L’Oisillon avait peur, même si elle n’osait pas se l’avouer. Elle se frotta nerveusement les mains, n’ayant pas réalisé qu’elles étaient ensanglantées et réprima une grimace de douleur.

Elle était restée quelques instants appuyée contre le mur, fermant les yeux et oubliant totalement où elle était et même la présence de la douce Cannelle.

Incapable de savoir si elle était restée une seconde ou une heure ainsi adossée contre ce mur dont le froid et la dureté étaient presque un soulagement pour elle, elle se sentit happée, à la fois avec une certaine violence et une douceur qu’elle ne connaissait pas.

Sans même qu’elle ait eu le temps d’ouvrir les yeux elle s’était retrouvée blottie contre cette personne et en un instant tout son corps se détendit. Elle savait qu’il était là pour la protéger, elle n’avait pas besoin d’ouvrir les yeux pour savoir de qui il s’agissait. Son esprit, son corps avaient instinctivement répondu à cette interrogation en moins d’une seconde et l’Oisillon se savait enfin en sécurité.

L’affection de Cannelle était une chose, l’ombre protectrice de Neige avait quant à elle cette force, cette présence que personne n’arrivait à égaler, malgré la tendre amitié qu’elle ressentait pour celle qu’elle considérait déjà comme une Sœur. Elle n’avait pas vu le regard du Serpent sur le Chaton, elle s’était contentée de respirer doucement, de laisser son esprit finir enfin de s’égarer et de revenir à la réalité.

Parfois il ne suffit de pas grand-chose pour basculer, pour franchir cette frontière qui hantait chaque jour la jeune Amelia. C’était cette ombre persistante derrière ses deux gouffres bleutés, c’était ce voile qui la recouvrait parfois alors qu’elle était perdue dans ces pensées. Et cette fois encore, elle avait failli basculer de ce coté sans même comprendre ce qui lui arrivait.

Mais la douce pression de Casey et surtout l’étreinte du Serpent l’avaient ramenée au bord du gouffre, juste assez près pour qu’elle puisse être tentée d’apercevoir ce qu’il y avait au fond mais encore assez loin pour continuer d’ouvrir les yeux chaque jour.

Et puis il relâcha brusquement son étreinte et elle eut froid. Très froid, comme si la Brume la transperçait de toute part. Elle resserra contre elle les pans du châle d’une main tremblante non sans avoir remarqué cette fois-ci le regard que le Serpent avait posé sur le vêtement mais aussi sur sa compagne.

Les paroles de Neige la surprirent quelque peu. Il semblait inquiet, attentif, autant de qualificatifs qu’elle n’aurait jamais cru donner à cette ombre parmi les ombres. Doucement, elle retira ses mains, les observant avec un regard étrange. Elle n’avait toujours pas réalisé ce qui s’était passé, son regard curieux passa de ses mains à Casey avant de se poser sur le Serpent.

« Je, je ne suis pas vraiment blessée. C’est juste comme la dernière fois, tu te souviens ? »

Elle leva son regard en direction de celui du Serpent et elle le fixa silencieusement quelques instants, comme pour lui faire comprendre qu’elle n’avait fait « que » perdre pied, rien de bien grave au fond. Mais il se souvenait, elle en était sure, ne serait-ce qu’avec ce geste, ses lèvres qui avaient touché ses mains. Elle continua alors d’une voix si basse, si ténue, comme si elle souhaitait que personne ne l’entende.

« Cet homme c’est… c’est le mal. Même la Brume ne semble pas vouloir avoir à faire avec lui. Je ne veux pas que tu l’approches, je ne veux plus que personne ne l’approche. »

Pour la première fois depuis très longtemps, Amelia semblait inquiète. Ses sourcils étaient froncés, elle jetait constamment de brefs regards autour d’elle et continuait de frissonner.

Ne pas oublier qu’il était là, pour l’aider, pour trancher le brouillard ou autre chose. Elle jeta de nouveau un bref regard surpris à ses mains puis sans un mot, se précipita de nouveau entre les bras du Serpent, pour se blottir en sécurité à l’endroit qui aurait semblé au premier abord le plus improbable pour le jeune Oisillon.

Les portes de l'église s'entrouvrirent un peu, avant que les battants ne claquent. Ils étaient déjà éloignés de quelques bons pas, quand la foule bruissante s'échappait de l'Antre du Seigneur. Sur leurs lèvres, le scandale récent et celui plus ancien d'une poignée de jours. Certains disaient que l'homme étrange devait être fatalement lié à la disparition des pauvres petites, tant il semblait être un démon, d'autres répliquaient qu'un démon ne pouvait entrer dans un lieu consacré. D'autres encore s'interrogeaient sur les présences des personnes outrancières, commentaient plus sévèrement, plus superficiellement, maudissant les étrangers par louches entières et sans y faire la moindre nuance. Et les bavardages odieux allaient et venaient, d'autant plus lorsque le malheureux Eddie fut à son tour jeté hors des lieux, toujours prostré et pleurant. Des regards durs, sans une once de pitié, ou alors condescendants. On repoussait sa crasse, on méprisait son allure.

La Brume s'élevait sur le passage d'un Lord, alors que nul ne prêtait davantage d'attentions à ce vieil homme digne.

Bientôt, sur le parvis, ne resta plus que ce pauvre Grand Ed', serré de ses propres bras comme un enfant dans un trop grand corps, tremblant de froid et de peur, sans plus de larmes à faire couler. Et quand les portes de l'église se refermèrent, il y était encore. Plongé dans l'ombre.

La Brume s'élevait encore, mais il n'y avait plus personne pour regarder alors.

Plus personne.

Sauf Casey, qui marchait dans un brouillard qui se faisait cotonneux. Épais. Une purée de poix comme même Londres en avait connu peu. Qui semblait danser. Et il n'y avait personne auprès d'elle pour tendre une main à travers ses ombres blafardes. Qui dessinaient des formes. Qui susurraient. Derrière elle.

Tu es bien seule, jeune fille.

Et qui la perdaient, dessinant des mâchoires et des mains caressantes, pour la pousser, se jouer d'elle. Soudain, une main, une véritablement, qui se porta sur ses lèvres. Pour la faire se taire. Un sourire, là, juste à gauche de son visage. Un contact froid comme celui d'une tombe.

Je suis venu te chercher, petite fleur. Si fragile.

Et pour l'étrange couple, il n'y avait rien d'autre qu'un brouillard légèrement plus épais.

L’Oisillon avait agi par instinct, sans bien réfléchir aux conséquences de son acte. Elle avait juste besoin de la protection de Neige, d’être près de lui, plus rien n’avait d’importance. Elle en avait même oublié la pauvre Casey, sa Sœur qui s’était donné la peine de l’accompagner, qui avait pris soin d’elle lorsqu’elle avait perdu pied et qu’elle avait délaissée sans scrupule.

Et pourtant… En cet instant, la Brume les avait entourés, les avait laissés tous les deux seuls. Il l’avait enfin trouvée et tout se qui pouvait se passer désormais n’avait guère d’importance. Elle avait senti ses bras la serrer tout contre lui, former cette protection dont il était le seul capable. Elle se contentait de fermer les yeux, le front contre le torse du Serpent, ne Voyant rien d’autre qu’une douce obscurité et sa respiration se faisant plus régulière.

« Je sais que tu me protègeras, je le sens. La Brume nous a permis de nous chercher, elle nous permettra de nous trouver quand il sera temps. Mais reste avec moi. Ne vas pas le voir. »

Elle avait prononcé ces quelques paroles tout contre son oreille, lovée dans ses bras tandis qu’il la portait loin de ce lieu où elle n’était pas la bienvenue. Elle sentait la menace s’éloigner, bien qu’elle se sache dans les bras d’un prédateur. Mais après tout, un prédateur capable de la protéger, de la libérer, voire de la guider lorsqu’elle se perdait était peut-être ce dont elle avait besoin. La frêle proie avait trouvé refuge auprès de celui qui pourrait lui faire le plus de mal et s’en sentait rassurée, presque sereine tandis qu’il continuait de marcher d’un bon pas loin du monde.

Elle le regardait avec intensité, sans prêter attention aux ruelles qui défilaient quand elle eut un soubresaut. Les traits fins du Serpent avaient disparus, remplacés par ceux de la douce Cannelle. Ses yeux n’étaient plus mi-clos mais écarquillés d’une terreur sans nom. Ses lèvres finement ourlées serrées comme si elles n’allaient plus jamais prononcer un mot étaient désormais grandes ouvertes, poussant un hurlement à déchirer les tympans.

Casey… Cannelle… Sa Sœur… Elle allait souffrir, elle avait avoir peur, elle allait se perdre dans cette Brume dense qui les entourait. Elle ne reverrait jamais ses belles boucles, elle ne sentirait plus jamais son odeur presque enivrante et jamais elle ne pourrait se le pardonner. Tout était de sa faute, elle n’aurait jamais du l’emmener là-bas, elle n’avait rien Vu.

Brusquement, elle repoussa Neige, se débattant pour qu’il la relâche, l’effet de surprise lui permettant de se libérer tant bien que mal de son étreinte. Elle tomba lourdement sur le sol, se tordant la cheville et poussa un petit cri de douleur. Un instant, les paroles de Mère lui revinrent à l’esprit. Parfois elle Verrait des choses qui lui déplairaient, la souffrance de gens qu’elle aimait, la mort parfois.

Mais elle ne pouvait pas laisser faire les choses. Ce n’était pas encore arrivé, cela ne pouvait pas arriver. Neige n’était pas là pour la protéger elle, il était là pour prendre soin de cette nouvelle Sœur si douce, si apaisante pour Amelia.

Elle leva un regard un peu perdu sur Neige, ses yeux semblaient encore plus grands qu’à l’ordinaire.

« Il faut la retrouver. Il va lui faire du mal. On ne peut pas la laisser. Il va lui faire beaucoup de mal. Je ne veux pas qu’elle souffre. Pas elle. Pas ma Sœur. Aide-moi. Trouve-la. Maintenant. Vite. Le temps presse. Il ne reste pas beaucoup de temps. »

Les mots semblaient se bousculer, s’entrechoquer lorsqu’ils sortaient de sa bouche, d’une façon désordonnée. Tout en parlant elle jetait des regards presque affolés autour d’elle, comme pour savoir dans quelle direction se rendre. Elle boitait mais tournait en rond, sans se décider où aller. La Brume allait-elle lui montrer la route ou n’avait-elle compris que trop tard ce qui allait se passer ?

Neige devait l’aider. Non, Neige allait l’aider. Il était capable de tout, même de retrouver un Chaton perdu dans la nuit et de la sauver des griffes du mal.

Un battement de coeur. Un battement de cils. Elle avait échappé à son étreinte, et il la regardait à présent, au sol, sans mot dire. Une seconde passa, ainsi que des milliers de pensées. Il n'avait pas à la rattraper, puisqu'Elle avait voulu s'échapper. Contenir était briser, lorsque la petite chose se débattait tant et qu'Elle ne voulait que s'envoler. Mais l'Oisillon avait manqué un battement d'aile, et souffrait au sol. Il aurait du l'empêcher, pour ne pas qu'Elle se heurte, qu'Elle perde un peu de ce regard qui semblait lui dire qu'avec lui, elle ne risquait rien. Ce qui était faux. Il avait son couteau. Et pour Elle, il pouvait même avoir les crocs et les ongles. Oui, ça lui plairait de la mordre. Très fort. De faire une seul chair, comme certains livres disaient. Même s'il savait que cette expression désignait quelque chose de plus courant mais de presque aussi tût que de dévorer ses congénères, il trouvait l'expression belle et harmonieuse. Il songea un instant à l'application du sens moins strict de cette métaphore, et cilla encore. Deuxième seconde.

Sa chair. La sienne. Déglutissement. Appétit vorace. Léger mouvement de la main, à peine perceptible. Pupilles qui s'étrécissaient plus sensiblement. Sa peau, la sienne. L'une contre l'autre. La pensée enfla, alors qu'il salivait davantage. Étrange, alors qu'il ne souhaitait plus mordre en cet instant. Il nota, mécaniquement, la résultante de ses filets ténus de sensations vives en lui. Il était vrai qu'il aimait l'odeur de sa peau, assez pour peut être en aimer le goût. De cette façon ? Les choses qu'ils avaient connues étaient une expérimentation comme une autre, qui l'avaient laissé au final passablement froid, et à ses côtés une demoiselle souvent traumatisée, et pour la plus chanceuse, perplexe. Il ne cilla pas. Troisième seconde.

Elle avait crié, Elle souffrait. Sa main continua sur l'esquisse de son mouvement, en fit un trait étiré. Elle disait des choses, sans aucun doute de ce qu'Elle avait Vu, qui devaient lui être insupportables et donc, s'il la comprenait encore bien, qui impliquait sans doute la Soeur qui venait de les quitter. Sa main frôlait la joue de Whisper alors que ses yeux semblaient fendus en deux, verticalement. Rage. Saloperie de petite idiote de Casey. Il aurait dû s'écouter et la trancher lui même, là, dans le caniveau, Elle ne se serait pas fait mal à la cheville. Petite connasse. Tu vas payer le prix cher. Elle lui demandait de la trouver. Il souffla, au milieu de ses mots à Elle, un simple mot.

Oui.

Oui, il allait la trouver, et non, elle n'aurait pas le temps de souffrir. La main glissa à la joue pour filer vers l'épaule, plaquer contre lui. Soulever, cette fois en la jetant sur son épaule sénestre. S'il était presque ambidextre, il s'agissait dorénavant d'être au plus efficace possible, pour n'avoir qu'à jeter un coup de son pinceau sur la toile d'une vie pour achever l'oeuvre. Quatre.

Penser. L'Oisillon sur l'épaule, l'odeur de l'urine en mémoire, sa direction, sa fuite, à cette sale petite sainte qu'il allait crever dans l'heure, peut être avec l'Autre être s'il la mettait Elle en danger, ou s'il était seulement à portée pour lui avoir fait peur. Un éclair fendit cette seconde alors qu'il rebroussait chemin, son important trésor presque rudoyé retenu par une seule main qui se voulait douce. L'autre avait sifflé dans l'air, un son tranchant et vif, un début de chant. Le Couteau montrait son unique dent effilée, et il ne le montrait jamais pour ne pas peindre. Le chemin vers l'église, puis la direction de cette petite peste mièvre et mijaurée qui croit amadouer le monde avec sa stupidité crasse.

Après quelques autres secondes, il cilla une dernière fois, rangeant ses pensées au même titre que les autres qui pouvaient le fâcher avec Mère. Il n'en conçu plus de troubles, scellées que ces pensées étaient, et fila vers l'odeur, sans relâcher l'Oisillon.

Brumes...

Comme les brumes étaient épaisses ce soir, pour l'étrange couple de l'Oiseau et de la Vipère, comme autant de langues et de mains qui cherchaient à les gouter, à les retenir, à les happer. Ombres aimantes et pernicieuses qui cherchaient à tromper. Cette rue... Déjà vue, peut être. Ce son... Derrière ? Devant ? Comment savoir ? Mais, eux, savaient. L'un sentait, l'autre Voyait. Les Brumes étaient félonnes, mais la Brume elle reconnaissait ses enfants. Le Sang battait les tempes du Serpent à l'humeur déjà si carmine, la Vision de Whisper tranversait d'abord péniblement, puis de façon de plus en plus claire les Brumes, filles du brouillard de Londres.

Et perça le cri.

Un cri rageur et indigné, un cru de vieux dandy singulièrement outragé. Pas si fort, répercuté. La malheureuse Casey fut rejetée brutalement sur le sol, alors qu'un goût de fer se répandait entre ses lèvres. Un sale goût, un parfum de vieille chose racornie, de poussière, de ce qui n'aurait pas du être. La voix siffla, bien plus bas.

Gourgandine. Je te fais l'honneur de ma présence, et toi, ah ! Tu me mutiles. Par le Sang Bleu ! Ca ne saurait.

Un coup. Sec, cinglant comme un fouet, avec une force et une maîtrise trahissant l'assurance. Sur les reins. Pour humilier, déchirer tissu et peau en surface. La douleur était comme une nuée d'étoiles, soudaine. Puis le bruit de l'approche, que Casey ne percevra sans doute pas, pauvre petit chat puni d'avoir été là. Le bruit des souffles. Les petites brumes obéirent à la plus Grande, soulevant la silhouette vague qui ne devint plus que filaments épars, soulevés du moindre vent. Il ne pleuvait pas, et rien ne semblait pouvoir soulever l'épaisse cape de brumes dansantes au dessus de celle qui était là, à saigner, ventre à terre sur le pavé.

Malheureuse petite Casey.

Ne pas trouver le chemin immédiatement n'a pas entamé un instant sa détermination à trouver sa proie. La chasse était la chasse. Rien de passionnel, rien d'irrationnel, ou plutôt d'illogique. L'acharnement, devant les difficultés, donnait toujours les meilleurs résultats. Une traque n'en était pas une sans difficultés. Sinon, elle n'était qu'une exécution. La chose viendrait. Une fois la proie découverte. Une fois le danger tué, découpé, déglutit, digéré, remisé, absorbé.

La silhouette étrange du monstre qu'ils formaient à deux se découpa dans le brouillard presque immobile, comme s'ils naviguaient dans une myriade de fines toiles arachnéennes. Nulle trace du premier désigné. Mais l'odeur du sang, l'odeur de l'humeur répandue par la peur le guida plus assurément que ses yeux. Qui tombèrent sur l'effondrée. Blessée. Il tiqua. Non pas parce qu'elle avait été la proie d'un autre. Il n'y avait aucun mal, aucune honte à achevé le travail entamé par in autre, au contraire. C'était une question de pur pragmatisme que son absence d'orgueil rendait aisée à résoudre. Non, s'il avait tiqué, c'est bien parce qu'il lui paraissait absurde l'idée d'une blessure d'humiliation comme celle-ci si ce n'était pas pour observer sa cible encore. Pour l'entendre gémir, supplier, ou la voir obéir. Par conséquent, le danger désigné était encore présent. Casey avait été sa cible. Il importait donc qu'elle devienne appât.

Pour ne pas que l'Oisillon ne soit la suivante. Pour ne pas qu'elle ait à souffrir d'être marquée par un autre que lui. Une nouvelle fois, il tiqua. S'il la marquait, ce serait assurément pour retirer d'à son visage toute marque reconnaissable, pour soutirer à son corps toute forme qu'un oeil et un coeur commun pourrait supporter, et ce après l'avoir exsanguinée à la perfection, afin que nul, jamais, ne la retrouve et ne témoigne. Ca rendrait les choses un cran plus complexes et ne ferait qu'un cadavre supplémentaire. La voix di Serpent, toujours si neutre, si atone et curieusement chaude, siffla.

Lève-toi.

Ni douceur, ni réconfort. Il les réserva à sa charge précieuse, la faisant lentement glisser entre ses bras pour la déposer au sol, sur le bon pied. La gardant à demi soulevée, en appui. Il ne voulait pas qu'elle se blesse encore. Il ne le permettrait pas.

L'odeur du sang emplissait l'air, déformait ses sens. Il lui sembla que la Brume était plus rouge, plus mobile. Il connaissait ces symptômes pour lui avoir été rapportés, sans qu'il ne les ait ressentis vraiment jusqu'à ce soir. La Brume quémandait son tribu, attisée par le feu glacé de sa colère détachée. Il se vit se pencher, embrasser cette plaie, il se sentit mordre, déchiqueter davantage, prendre sur elle sa part qui lui revenait de l'avoir sauvée pour un temps.

Il ne bougea pas. Pas d'un souffle. Mère n'aimerait pas. Mère détesterait, même. Amelia pleurerait sans doute si c'était devant elle. Il répugnait à l'assomer immédiatement pour achever l'oeuvre et tenir là un prétexte qui arrangerait tout le monde et permettrait aux rouages de son monde de cesser de grincer. Mais Mère détesterait. Amelia serait peinée. Il l'aurait blessée de lui-même. Il devait songer au premier des dangers, avant de se pencher davantage sur le cas de Casey. Que ce soit physiquement ou non. La différence était plutôt négligeable en l'occurrence.