[Event n°1] With wolves in sheep's clothing.

Amelia vit le Serpent se pencher, s’occuper du pauvre Chaton et la relever, sans ménagement mais qu’importe, elle était vivante et elle serait soignée au manoir. Mère connaissait toutes sortes de médecine et saurait s’en occuper. Neige remplissait son devoir, sa mission de protection, c’était une bonne chose.

Ecouter

Elle n’avait pas bougé d’un cil, la respiration haletante, la bouche légèrement entrouverte, comme sous l’effet de la surprise. Elle tiqua légèrement quand elle entendit les propos du Serpent.

Il l’avait trouvée. Il avait fallu la Brume, cette alliée, cette protection qui les englobait, se mêle à cet ingrédient carmin pour que les choses se mettent en place. Cette pointe de couleur avait permis au Serpent de la trouver parmi la Brume et à l’Oisillon de voir le gouffre qui la guettait se rapprocher brusquement.

Sentir

Elle ferma les yeux, les lèvres pressées contre celles du Serpent. Elle n’y voyait aucun geste tendre, il voulait qu’elle goûte. Elle le voulait aussi. Elle sentait le corps du Serpent contre elle, leur respiration en quasi symbiose et sa main qui la serrait contre lui.

Goûter

Les lèvres légèrement entrouvertes elle sentit les gouttes de sang perler en son sein. Un goût de métal qu’elle connaissait déjà mais aussi et surtout cette chaleur qui l’envahissait à chaque seconde passée à se délecter de ce nouveau breuvage.

Toucher

La main d’Amelia glissa sur le bras du Serpent puis jusqu’à sa nuque qu’elle serra avec une violence insoupçonnée. Elle voulait goûter encore et toujours, elle ne voulait pas qu’il s’arrête. Ce flot carmin à peine perceptible qui s’échappait du prédateur l’enivrait encore plus qu’elle n’aurait osé l’imaginer.

Regarder

Elle rouvrit alors les yeux, s’éloignant brusquement du Serpent, gardant sa main posée sur son bras. Son regard était noir, les gouffres bleutés avaient laissé place à un abyme insondable, impossible d’en distinguer l’iris de la pupille. Elle avait totalement perdu pied et ne voyait plus rien, ni présent ni avenir. Sa bouche était rouge du sang de Neige et, sans même qu’elle en ait conscience, sa langue glissa prestement sur ses lèvres pour en recueillir les dernières gouttes.

" Nous somme trouvés oui. Je savais que tu me trouverais, que tu trouverais le chemin."

Sa voix était basse, rauque et elle le fixait avec intensité tandis que sa main glissait jusqu’à ses lèvres et les caressait doucement. Elle touchait son prédateur sans aucune crainte, l’Oisillon semblait avoir totalement disparu pour laisser place à un Oiseau bien différent, étrange et qu’elle était loin de connaître.

Elle cligna alors plusieurs fois des yeux, leur noirceur se dissipant pour laisser de nouveau sa place au bleu nuit qui éclairait le regard de la jeune fille.

Elle s’éloigna alors d’un pas, chancelante. Elle avait vu ce qui l’attendait au fond du gouffre et elle avait aimé ça.

"Il faut ramener Casey à la maison pour la soigner. Vite. Sinon elle mourra."

Elle avait murmuré ses paroles et, sans attendre, commença à boitiller en direction du manoir. Elle avait complètement oublié le Lord et aurait également oublié le reste de l’humanité si Casey n’avait pas été si proche, si elle n’avait pas entendu les battements irréguliers de son cœur et si l’affection qu’elle lui portait lui permettait encore de ne pas chuter totalement dans ce gouffre qui s’était ouvert sous ses pieds.

Ils partaient.

Au travers des brumes, une autre plus dense s'étirait pour les suivre. Un peu. De loin. S'élevant au dessus des toits pour les couvrir de sa présence, sans s'approcher trop. Ils partaient, laissant derrière eux quelques gouttes de sang sur le pavé humide, qui se mêlaient à la rosée de la bruine. Demain il n'y paraîtrait plus. Le soleil se lèverait sur Londres au travers du fog et rien ne trahirait ce qu'il s'était passé. Rien ou presque. Demain, l'Oisillon se souviendrait et ferait un rêve plein de sang et de délices, d'ombres, de maléfices et de joie. Presque un cauchemar, tant il lui plaira. Demain, le Serpent s'éveillerait avec une faim plus prononcée que d'ordinaire, plus vivace et impérieuse que bien des jours. Demain, Casey se réveillerait avec la Veuve inquiète à ses côtés, une douleur cuisante au dos et des bars maternels autour de la taille. Demain, on bavarderait à propos des étrangers qui avaient fait mauvaise impression à l'église.

Demain, le Grand Ed' errerait encore sur le pavé, harcelant les jeunes filles pour qu'elles quittent la ville, si personne ne se lève pour les protéger. Demain était un autre jour. Pour l'instant ils partaient. L'ombre blanche s'arrêta aux portes du Manoir qu'ils avaient franchi, avant de faire demi tour, portée par un vent contraire et bas.

Demain, les journaux parleraient d'une très jeune fille des bas quartiers, à peine plus qu'une gamine, dont on trouvera le corps mutilé flottant dans la Tamise. Des marques de coups partout sur son petit corps nu et pâle. Un masque d'effroi sur son visage à jamais figé. Demain, on s'inquiéterait davantage pour les demoiselles de Londres. Mais demain, il ferait jour. Et la vie continuerait.

Au devant de l'église, il y avait maintenant le silence.