As a season passed away... [Tewa]

**Diane Laurel** Jeu 29 Oct - 8:08

D'abord, c'était un pli assez épais. Un vélin dur, riche, sans aucun doute cher. La première lettre était d'une banalité affligeante, décrivant des souliers ardemment désirés par une fille ainée. Noirs, avec une petite boucle un peu excentrée. A faire sur mesure. Mais dans ce pli, il y avait une feuille bien plus fine. Plus cachée, là, au fond de l'enveloppe, si délicate qu'on voyait ses doigts au travers à la lire. Qu'il fallait la poser sur in fond sombre pour bien la lire. Elle était couverte d'une écriture petite, pointue, aux déliés rares mais envolés. D'une régularité hasardeuse. Selon l'envie. Elle semblait presque être runique, incantatoire, tant certaines lettres étaient appuyées, d'autres oubliées. Et elle disait ces mots.

Esprit de mes songes,

Combien ais-je pu attendre de t'écrire, combien j'ai pu cacher et avoir envie de te rejoindre, sans la moindre raison, sans la plus petite mesure. Combien j'ai cherché mes mots, avant de me rendre à l'évidence qu'il ne me fallait, au moins à la faveur d'une lettre, ne plus rien contenir.
Chercherais-je à t'ennuyer à te conter mes jours ? Ils sont gris autant que ce ciel au dessus de ma fenêtre sur laquelle s'écrase une pluie qui ne tombe pas si molle dans le pays dont je tiens mon sang. Tu dois déjà l'avoir vu à ma main, je suis épouse -Bien que je ne sois plus femme de cet homme- et le fauve qui partage mon lit sans me frôler jamais rôde autour de moi, comme cherchant la trace de ton parfum. J'ai fui, esquivé, mais il se doute, je le vois en ses yeux. Je ne lui ai opposé que ma froideur coutumière dans laquelle je m'étais emprisonnée confortablement, mais la faille que tu y as percée il la sent, pour l'avoir souvent recherchée.
Mes songes vont vers toi, et hier il me regardait alors que j'ouvrais les yeux. Il te jalouse. Je te protègerai de toute ma force, même si feindre m'est bien plus pénible maintenant que je te sais. Si je te contais ce rêve ? Ah, je marchais dans une forêt endormie par l'hiver, seule et sereine, vêtue d'une mante de givre. L'air était d'une limpidité de source de montagne, rien ne le troublait. J'avançais vers les lueurs dansantes de myriades de soleils qui se mouvaient lentement, jusqu'à croiser une ombre maigre. Une sorte de pousse ténue, frissonnante, qui cherchait à vivre malgré la froideur. Qui s'était trompée de saison. Je me penchais vers elle, et là le songe s'est scindé. J'avais la sensation d'être revenue des jours et des semaines au chevet de cet arbrisseau, d'abord simplement à l'observer, puis à oser lui parler. La saison ne bougeait pas, pourtant il me semblait des années à être venue lui apporter ma présence, mes chants, mes paroles et confessions. Et ce n'était pas des feuilles qui lui paraissaient, mais des mains, des bras, un visage.

Tu sais déjà quel visage j'ai vu, quels yeux se sont ouverts. J'ai ouvert les miens en même temps que mon Arbre, et l'éveil m'a volé le reste du songe. J'espère le rêver avec toi bientôt.

PS: A me relire, j'ai l'impression d'entendre la voix d'une jeune fille à peine au fait des choses des hommes et des femmes. J'ose, en tremblant, t'en demander pardon.

Avec ferveur,
Ta Chasseresse.

**Tewa Joli-Coeur** Lun 2 Nov - 11:50

Il fallut de longs moments. Oh, peut-être le temps que met une feuille dorée par le temps à rejoindre le sol qui l'a engendrée. Pourtant c'était une lutte toute différente, inverse presque. Et qui sait quelle force il faudrait à la feuille pour s'arracher au sol et revenir vivre parmi ses soeurs? A côté de Tewa, les yeux fixés sur ses traits, buvant ses moindres expressions avec une tendresse amusée, Alexander riait. Pour cette fois cela ne dégénéra pas en bagarre sur l'oreiller, Tewa l'ignora superbement. Et sans doute y avait-il de quoi rire... Par égard pour lui peut-être, ou pour toute autre raison qui de toute façon l'arrangeait bien, la chambre d'Alex Stirling était dépourvue de miroirs, et Tewa ne sut jamais quelle expression s'était peinte sur son visage, tandis que son ami déchiffrait pour lui ce message si secret. Il devait ensuite retourner à ses graves occupations, dont seule la perspective d'une lecture si passionnante avait pu le détourner quelques heures, mais auparavant, il lui fallut servir de secrétaire pour rédiger une réponse immédiate. Tewa lui avait promis une guerre indienne s'il le faisait languir, et ce n'était pas une façon de parler.

Ainsi seules les toutes dernières lignes furent-elles de la main de Tewa. Le reste n'était que de son coeur.

Ma Dame,

Bien souvent moi aussi j'ai rêvé. Mais le rêve n'est pas un leurre. C'est un espoir, et ce n'est pas que cela. De tels liens ont forgé les royaumes et défait les religions, ils sont fils de soie ténus qui nous relient rien à l'autre, et fil de l'épée qui tranchera les plus périlleux obstacles. Ce ne sont que des rêves, mais il ne dépend que de nous de nous mettre à leur service, et d'en faire des rois.

Tu me manques bien fort. La compagnie de certains qui savaient me faire rire m'est solitude, comme si je partageais la solitude qui semble tisser ta vie. Je refuse que tu me protèges, je ne suis pas un secret ni un enfant. Nous avons beaucoup d'esprits en nous, mais nous n'avons qu'une âme. Tu ne peux garder la haine d'un côté et l'amour d'un autre, si tu hais je finirai par entrer dans ta haine et faire ta guerre à tes côtés, et si quelqu'un te séquestre, il me séquestre avec toi - et nous autres, nous ne survivons pas en prison, il y a déjà presque trop de murs dans cette cité pour que ma santé s'y conserve. Qu'il vienne, l'homme qui me vole les instants où tu ouvres les yeux. Nous aurons une petite conversation, et ensuite il ne sera plus auprès de toi, plus même comme cette menace dont tu parles. Une simple menace, c'est déjà trop. Je veux te voir étendre tes ailes, et tout soupçon d'angoisse est un filet d'oiseleur qui te blessera dans ton envol.

L'ami qui m'aide à te répondre se moque de ma manière de parler. C'est un idiot. Bien, au moins il a l'honnêteté de copier ce que je lui dicte. Ne t'en fais pas, il ne parlera de tout cela à personne, il fait partie de moi et je fais partie de lui. Nous avons eu un tel lien toi et moi par le passé, quand nous ne nous connaissions pas encore, et je te fais le serment que nous le tisserons à nouveau, aussi patiemment qu'il le faudra. Mais quelque chose me dit qu'il ne faudra guère. Veux-tu que nous rêvions ensemble cette nuit? Ce sera un bon début. Comprends cela comme tu l'entendras, je ne suis pas contre un rendez-vous invisible - ni contre une autre forme de rendez-vous, mais est-il l'heure? Je te laisse en décider.

Je t'apporterai ta commande dès demain, quoi qu'il en soit. Je travaille vite, lorsque mon coeur bat vite. Il y a un baiser pour toi dans cette lettre, en attendant. A toi de le trouver.

TEWA

As a season passed away... [Tewa]

As a season passed away... [Tewa]

Re: As a season passed away... [Tewa]